DS0403 - Exploration des systèmes et organes leur fonctionnement normal et pathologique : physiologie, physiopathologie, vieillissement

Antalgiques et différenciation ovarienne fœtale chez l’Homme – ACETAMINOV

Impact de l’exposition in utero aux antalgiques sur le développement des ovaires fœtaux

Beaucoup de femmes rapportent avoir consommé des antalgiques (paracétamol, aspirine, ibuprofène..) pendant leur grossesse. Or, des données récentes suggèrent que ces médicaments pourraient avoir des effets sur les capacités endocrines et la lignée germinale sur le testicule fœtal, mais les éventuels effets sur l’ovaire n’ont pas été étudiés.

Evaluation et caractérisation des effets des antalgiques sur la différenciation ovarienne

Les effets tératogènes de certains médicaments ont par le passé donné lieu à des scandales de santé publique (distilbène, thalidomide, dépakine). Les médicaments luttant contre la fièvre et la douleur sont sur le marché depuis des décennies, pour beaucoup en vente libre. Si leurs effets bénéfiques et leur efficacité sont reconnus, leurs effets secondaires et les risques sont pour certains moins connus. Cela vient en partie de la méconnaissance de leur(s) mécanisme(s) d’action. Cette sous-évaluation de la balance bénéfice/risque est inquiétante, notamment pour la population des femmes enceintes. Ces 10 dernières années, des inquiétudes sont apparues vis-à-vis d’une possible association entre la consommation d’antalgiques, notamment le paracétamol, par la femme enceinte, et la survenue de troubles, maladies, et malformations du nouveau né (asthme, troubles de l’attention, cryptorchidie..). Si l’impact direct de ces médicaments sur le testicule commence à être mieux connu, celui sur le développement ovarien reste sous-étudié. Le projet Acetaminov a pour objectif d’évaluer et de caractériser les éventuels effets d’une exposition des embryons aux antalgiques couramment utilisés par les femmes enceintes sur le développement de l’ovaire fœtal humain

Les approches in vivo n’étant pas possibles, nous avons choisi de collecter des ovaires issus d’interruptions volontaires de grossesse pour les exposer in vitro à ces médicaments. Les fragments d’organes sont cultivés pendant 7 jours soit dans des conditions contrôles, soit en présence de paracétamol, d’ibuprofène ou d’aspirine. Différentes concentrations proches des concentrations circulantes connues sont testées. A l’issue de la culture, la mort et la prolifération cellulaires, les proportions des différentes populations cellulaires, les expressions des gènes et la qualité du matériel génétique sont analysés dans les fragments ovariens

Dans une première partie du projet, nous avons mis en évidence des effets délétères de l’ibuprofène sur le développement ovarien. L’ibuprofène, à des concentrations pertinentes en termes d’exposition humaine, diminue le nombre de cellules, augmente la mort cellulaire, diminue la proportion des cellules en prolifération et diminue la proportion et le nombre de cellules de la lignée germinale. Ces effets sont détectables dès 2 jours d’exposition, et certains des effets sont encore visibles 5 jours après arrêt de l’exposition.
Le paracétamol induit des effets plus ténus sur le tissu ovarien humain, non spécifiques de la lignée germinale, et ces effets ne sont détectés qu’après 12 semaines de développement.
Pour pouvoir analyser l’existence de fenêtres de sensibilité, nous utilisons le modèle rat. Nous avons pu dans une première étape découvrir une différence de sensibilité au paracétamol entre deux souches de rats couramment utilisés en toxicologie.

La perspective finale de ce projet est d’évaluer l’impact d’une exposition aux antalgiques sur le développement des ovaires du fœtus, de caractériser les éventuels effets, de déterminer des populations cellulaires sensibles, d’identifier d’éventuelles fenêtres de sensibilité. Du point de vue scientifique, l’enjeu majeur de ce projet est de mieux connaître l’action de ces molécules sur les organes en développement, et d’appréhender les mécanismes d’action de médicaments couramment utilisés. Les données de caractérisation d’éventuels dangers concernant l’exposition des fœtus à des médicaments couramment utilisés par les femmes enceintes représentent aussi un enjeu majeur en termes de santé publique, du point de vue des autorités compétentes en réglementation, mais aussi en communication et éducation de la population.

L’article montrant les effets de l’ibuprofène sur l’ovaire humain, publié en février 2018, a été sélectionné par l’éditeur en chef de la revue pour présentation à la presse. Il a suscité de nombreux articles et interviews de vulgarisation de par le monde.
Les résultats obtenus sur l’ibuprofène et le paracétamol ont été discutés au sein d’une réunion d’un groupe de travail international sur les antalgiques au cours de la grossesse (mai 2017). Ces résultats ont par ailleurs été communiqués aux autorités compétentes (agence nationale pour la sécurité du médicament) au cours d’une réunion dédiée aux antalgiques pendant la grossesse et leur(s) effet(s) sur le tractus urogénital (janvier 2017).

Depuis le début des années 50, le paracétamol est très populaire parmi les analgésiques sans ordonnance, ce qui fait de lui l'un des médicaments les plus largement utilisés dans le monde, dans la population générale, mais aussi parmi les femmes enceintes. En effet, plus de la moitié d’entre elles rapporte la consommation d’analgésiques, notamment de paracétamol, pour le traitement de la douleur et de la fièvre. Pendant la grossesse, seul le paracétamol est recommandé pour le traitement de la douleur et de la fièvre. Toutefois, les recommandations pour l'utilisation des analgésiques de la famille des anti-inflammatoires non stéroïdiens pour le traitement de ces symptômes au cours du premier trimestre de la grossesse sont plus souples, bien que l'organogenèse commence. Un faisceau d’évidences plaide pour une origine fœtale des troubles de la reproduction observés à l'âge adulte, aussi bien chez l’Homme que chez la femme. Ces troubles, regroupés sous les termes « syndrome de dysgénésie testiculaire" et «syndrome de dysgénésie ovarienne», incluent des malformations congénitales de l'appareil génital masculin, comme la cryptorchidie et l'hypospadias, l’augmentation de l'incidence de l'infertilité et des cancers des testicules chez le mâle, et une incidence accrue de l'infertilité, de l'endométriose, des troubles de l'utérus et de l'ovaire, comme l’insuffisance ovarienne précoce ou le syndrome des ovaires polykystiques chez la femelle. Les analgésiques ont été récemment identifiés comme une nouvelle famille de perturbateurs endocriniens (PE), comme en témoignent diverses études épidémiologiques, ainsi que des expériences in utero et ex vivo chez le rat. Nous avons-nous-mêmes identifié que plusieurs analgésiques (paracétamol, aspirine, indométacine) perturbent ex vivo les capacités endocrines du testicule fœtal humain. Cependant, si le risque est maintenant établi chez l'homme, à ce jour, l'évaluation du risque de la consommation d’analgésique pendant la grossesse sur le développement de l'ovaire fœtal n'a pas été étudiée. Pour d'autres familles de PE, tels que le Bisphénol A, il a été démontré que s’ils modifient les capacités endocrines du testicule fœtal, ils ciblent la lignée germinale de l'ovaire. En effet, l'ovaire fœtal humain subit des événements morphogénétiques majeurs dans la lignée germinale, comme la mitose, la méiose et la reprogrammation épigénétique lors des premiers et deuxième trimestres de la grossesse. L’ensemble de ces données incitent vivement à rechercher d’éventuels effets des analgésiques sur le développement des ovaires fœtaux humains, et plus particulièrement sur la lignée germinale. Les objectifs spécifiques de ce projet sont: i) d’élargir l'évaluation des risques d’une exposition à des analgésiques sur le développement de l'ovaire fœtal humain, ii) de caractériser finement ces effets, par exemple en termes de dose, de durée d'exposition et de fenêtres de sensibilité et iii) de comprendre leur(s) mécanisme (s) d'action au niveau de l'ovaire. La stratégie expérimentale de ce projet est i) d’étudier l'impact d'analgésiques sur le développement des ovaires humains pendant le premier trimestre de la grossesse, lorsque la lignée germinale passe de la mitose à la méiose, ii) d’identifier d’éventuelles fenêtres de sensibilité en utilisant le modèle expérimental d’une exposition in utero chez de rat et celui de la xénogreffe d'ovaires fœtaux humains dans des souris immunodéprimées, iii) de rechercher les mécanismes d'action intimes des analgésiques au niveau de l'ARN en utilisant le séquençage à haut débit, et iv) d’examiner un éventuel effet silencieux durable des analgésiques au niveau de l'ADN. Le projet ACETAMINOV contribue à l'exploration de la différenciation physiologique et pathologique de l'ovaire, en particulier pendant la phase vulnérable de la vie fœtale, intégrant ainsi les politiques de santé publique.

Coordination du projet

séverine MAZAUD-GUITTOT (Institut de Recherche en santé, environnement et travail)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

Irset-Inserm U1085 Institut de Recherche en santé, environnement et travail

Aide de l'ANR 277 385 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2015 - 48 Mois

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