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Evolution répétée de la dent chez la souris : une perspective éco-évo-dévo – BIGTOOTH

Evolution répétée de la dent chez la souris : une perspective éco-évo-dévo

L’étude de populations naturelles de souris domestiques a mis en évidence l’évolution récurrente d’un phénotype dentaire particulier (allongement de la dent, jusqu’à l’occurrence d’une nouvelle cuspide). Le projet vise à décrypter les processus évolutifs et les mécanismes développementaux qui favorisent cette évolution parallèle.

Comprendre les mécanismes d’une évolution répétée

L’évolution répétée est un fait majeur en évolution, interprétée généralement comme une réponse commune à des pressions de sélection fortes. Cependant les progrès conceptuels et méthodologiques en biologie évolutive et biologie du développement suggèrent de plus en plus que les réseaux génétiques et développementaux peuvent favoriser certaines directions évolutives, facilitant l’évolution parallèle. La complexité des réseaux suggère également que la sélection sur un trait peut entrainer la réponse d’autres traits apparemment non corrélés. L’évolution récurrente de la dent de souris fournit un modèle de choix pour investiguer ces processus. L’allongement de la dent est documenté préférentiellement chez des populations de souris de grande taille, notamment en contexte insulaire, où les pressions sélectives sur la taille corporelle sont connues. Le projet vise donc à décrypter les mécanismes de cette évolution, avec plusieurs objectifs : une documentation plus complète de l’occurrence du phénotype d’intérêt en populations naturelles, afin de mieux identifier les contextes sélectifs qui le favorisent ; analyser la signature géométrique de cette évolution, afin de comprendre si les mécanismes mis en jeu dans les différentes populations sont vraiment similaires ; décrypter les caractéristiques développementales favorisant cette évolution ; enfin, au moyen d’élevages de souris issues de populations naturelles, dont les patrons de croissance seront suivis en conditions contrôlées, identifier le lien entre taille de la souris et morphologie dentaire. Ce projet repose pour remplir ces objectifs sur un consortium multidisciplinaire de partenaires, alliant des compétences en évolution, morphométrie géométrique, génétique des populations, et biologie du développement.

La force du projet est de fédérer des approches complémentaires autour du modèle de l’évolution de la dent de souris. Les principales méthodes mobilisées sont :
- Morphométrie géométrique, 2D et 3D. Ces méthodes permettent de quantifier la variation de forme dentaire, au sein et entre populations naturelles ou de laboratoire.
- Associées à des mises en croisement avec des pedigrees contrôlés, l’héritabilité des traits morphologiques dentaires pourra être estimée.
- Echantillonnage des populations naturelles. Une mission de piégeage a permis de ramener des souris issues de populations naturelles afin d’étudier en conditions contrôlées le lien entre taille de l’animal et phénotype dentaire.
- Les méthodes de biologie du développement (patrons d’expression de gènes, études de lignage cellulaire sur des rangées dentaires en culture) permettent de tester expérimentalement l’hypothèse que des propriétés caractéristiques du développement de la dent favoriseraient l’évolution récurrente observées.

L’inventaire de la morphologie dentaire dans les populations naturelles a confirmé l’occurrence fréquente du phénotype d’intérêt, notamment en contexte insulaire, mais aussi dans des populations fossiles. Cette évolution récurrente se fait dans une direction évolutive correspondant à une direction de variance observée au sein des populations. Ceci suggère que des mécanismes génétiques et développementaux, préexistants à l’échelle intra-population, favorisent l’évolution inter-populations dans des directions privilégiées. Ceci conduit à réévaluer l’interprétation de l’évolution parallèle, même d’un phénotype marquant : cette évolution pourrait se faire « facilement », puisque facilitée par les propriétés développementales caractéristiques de l’espèce.
Cette hypothèse est en cours de validation expérimentale. La comparaison du développement entre dents supérieure et inférieure (l’allongement de la dent étant observé sur la dent supérieure) montre chez des souris à phénotype normal un développement particulier de la zone antérieure à la dent supérieure, qui pourrait être mobilisé pour favoriser son allongement vers l’avant.

Plusieurs modèles insulaires seront investigués en détails en couplant caractérisation des dents par morphométrie géométrique et génétique des populations afin de comprendre la dynamique évolutive de l’évolution dentaire en contexte naturel.
Les mises en élevage permettront en complément d’estimer l’héritabilité des traits dentaires en conditions contrôlées, et d’estimer le couplage entre patrons de croissance de l’animal et phénotype dentaire.
Enfin, les hypothèses sur l’existence de mécanismes développementaux favorisant cette évolution dentaire seront testées en comparant le développement de la première molaire chez des souris à phénotype dentaire normal et des souris montrant le phénotype dentaire d’intérêt.

1. Claude J. Log-shape ratios, procrustes superimposition, elliptic fourier analysis: three worked examples in R. Hystrix, the Italian Journal of Mammalogy (in press)
2. Renaud, S., E.A. Hardouin, B. Pisanu & J.-L. Chapuis. 2013. Invasive house mice facing a changing environment on the Sub-Antarctic Guillou Island (Kerguelen Archipelago). Journal of Evolutionary Biology, 26: 612-624.
3. Renaud, S. & J.-C. Auffray. 2013. The direction of main phenotypic variance as a channel to morphological evolution: case studies in murine rodents. Hystrix, the Italian Journal of Mammalogy. (sous presse).
4. Stoetzel, E., C. Denys, J. Michaux & S. Renaud. 2013. Mus in Morocco: a Quaternary sequence of intraspecific evolution. Biological Journal of the Linnean Society, 109: 599–621.

La variation phénotypique est cruciale dans les processus évolutifs : cible de la sélection et du tri par les facteurs aléatoires, elle est le produit de la variation génétique, exprimée et modulée par des systèmes développementaux. Dans quelle mesure ces systèmes contribuent-ils à orienter l’évolution, en produisant préférentiellement certains phénotypes ? Notre projet vise à étudier cet aspect, en se basant sur le modèle du patron dentaire chez la souris. Nos travaux préliminaires ont mis en évidence un phénomène remarquable : l’évolution répétée d’un préstyle à l’avant de la première molaire supérieure, se produisant de manière préférentielle chez des souris de grande taille : diverses souris insulaires, mais aussi souches de laboratoires. Le projet vise à décrypter les processus derrière ce remarquable cas d’évolution parallèle. (1) Des analyses morphométriques permettront de quantifier les patrons évolutifs, de comparer la signature morphologique dans les différents cas indépendants d’évolution du préstyle, d’évaluer dans quelle mesure la variation phénotypique est conditionnée par l’histoire phylogénétique, et d’évaluer si cette tendance morphologique est déjà présente comme variance au sein des populations, et donc comme potentialité latente du système développemental. (2) Des expérimentations de biologie du développement permettront d’analyser le détail de la morphogenèse de la dent et de relier la variation phénotypique observée aux processus développementaux sous-jacents. (3) Nos résultats préliminaires montrent que l’apparition du préstyle est favorisée chez les souris de grande taille. Mais quelle souris « de grande taille » ? Nous viserons à préciser dans quel contexte le couplage augmentation de taille / apparition du préstyle se produit, en analysant les modalités de croissance de plusieurs souches. Certaines modalités d’augmentation de taille devraient favoriser le changement dentaire, en mobilisant les potentialités latentes du développement dentaire, par exemple une augmentation précoce de la taille, dès le stade embryonnaire durant lequel se forme la molaire. (4) Afin de valider ces résultats largement basés sur des souches de laboratoire, le piégeage de souris insulaires de Corse est prévu, afin d’élaborer des souches dérivées d’animaux sauvages et d’analyser chez ces souches le couplage entre grande taille et préstyle.

Ces aspects seront développés à l’échelle intra-spécifique en mobilisant des collections existantes documentant de nombreux cas d’évolution insulaires, et diverses souches de souris de grande taille documentant plusieurs voies génétiques d’augmentation de la taille (sélection indépendantes à partir de souches classiques et/ou mutations ponctuelles). Cependant, une contradiction frappante émerge : si à l’échelle intra-spécifique l’occurrence du préstyle semble couplée à une grande taille, ce trait phénotypique est caractéristique des plus petites représentantes au sein du genre de la souris : les souris naines Nannomys. Ceci pourrait être dû à l’évolution des systèmes développementaux eux-mêmes. L’étude de deux souches de souris naines en complément des souches de souris domestiques permettra d’aborder ce problème d’extrapolation de l’échelle micro- à l’échelle macro-évolutive.

Coordination du projet

Sabrina RENAUD (UNIVERSITE CLAUDE BERNARD - LYON I) – sabrina.renaud@univ-lyon1.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LBBE - UCBL UNIVERSITE CLAUDE BERNARD - LYON I
ISEM CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE LANGUEDOC-ROUSSILLON
IGFL CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE

Aide de l'ANR 435 000 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2011 - 36 Mois

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