DS0407 -

Du codage automatique à la perception consciente du temps dans le système nerveux central: un déficit fondamental dans la schizophrénie? – AutoTime

Ordonner notre environnement : détecter et percevoir.

Nous n’échappons pas à l’ordre, de la même façon que nous n’échappons pas au temps. Les informations se succèdent inéluctablement. Néanmoins, ordonne-t-on toutes les informations les unes par rapport aux autres, même quand ces informations sont subjectivement perçues comme étant synchrones ?

Ordonner et percevoir la causalité : fonctionnement sain et pathologique

Ordonner les informations dans le temps est inhérent aux activités cognitives et sociales, comme les jugements de causalité, et apparaît perturbé dans la schizophrénie. Cependant, nous ne savons pas si toutes les informations sont systématiquement ordonnées les unes par rapport aux autres, et quels mécanismes neuronaux sous-tendent ces capacités. Nous testons l’hypothèse selon laquelle certains processus sont automatiques, comme l’extraction de la durée d’un événement, mais que coder l’ordre, la causalité et la durée consciemment requièrent des processus additionnels. Nous déterminons si la perception consciente de la structure temporelle des événements (leur durée et leur ordre) nécessite une reconstruction après la survenue des événements. Nous explorons ces processus et leurs bases neurales (structures cérébrales et oscillations) en combinant des expertises multidisciplinaires en psychologie expérimentale, IRMf, MEEG, électrophysiologie, schizophrénie, chez l’homme et chez le rat. Les paradigmes explorant le traitement de l’ordre et de la causalité sont utilisés auprès des patients souffrant de schizophrénie et leurs apparentés, afin de rechercher des facteurs de vulnérabilité et faire le lien avec les symptômes cliniques, notamment le délire. En effet mettre en relation causale deux événements de façon aberrante est à la base de nombreux délires. <br />En somme le projet a pour objectif de déterminer les mécanismes fondamentaux qui sous-tendent la structuration inconsciente puis consciente de l’activité mentale, saine et pathologique.

Notre paradigme commun consiste à examiner dans quelle mesure une information temporelle (ordre vs. durée, consciemment perçue ou non) peut être utilisée pour anticiper un événement. Deux carrés apparaissent dans un ordre AB ou BA, et cet ordre est consciemment perçu ou non, selon le délai entre les carrés. Chaque ordre est associé à une information donnée, à laquelle les sujets doivent répondre, par exemple une couleur. Faire l’association entre l’ordre et la couleur permet aux sujets d’anticiper la couleur et de mieux y répondre. Cette tâche est associée à plusieurs techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale, chez l’homme et chez l’animal, pour déterminer les processus physiologiques qui permettent le codage de l’ordre et de la durée. Appliquée à la schizophrénie, elle permet de déterminer la cause de leur difficulté à structurer leur activité mentale dans le temps. Pour comprendre comment l’encodage d’un événement temporel mène à une représentation consciente d’ordre et de durée, nous enregistrons les oscillations neuronales et en particulier, le couplage entre les signaux émis à différentes fréquences (en M/EEG, et chez le rat pour étudier les structures profondes et les effets de substances psychotomimétiques). Nous examinons également les aires activées en IRMf lors de la prédiction d’une durée vs. d’un ordre. Ces études sont menées à la fois chez des volontaires sains et des patients souffrant de schizophrénie. Chez ces derniers nous avons aussi pour objectif d’examiner l’impact des altérations des capacités à ordonner les événements dans le temps sur les jugements de causalité. A cette fin nous examinons comment l’ordre temporel de deux événements visuels (un carré dont le mouvement est arrêté par un autre carré) affecte les jugements de causalité.

- Nos résultats suggèrent que quand les sujets sont incités à utiliser une information d’ordre, ils peuvent le faire même si cette information est non accessible consciemment.
- Nous avons pu confirmer que les patients souffrant de schizophrénie avaient des difficultés à bénéficier du passage du temps, notamment ceux qui souffrent de troubles du soi minimal (Martin et al., 2017, 2018).
- Nous avons obtenu plusieurs contrats pour développer des applications thérapeutiques pour la schizophrénie, qui dérivent du projet AutoTime.
- Nous avons organisé une conférence à Strasbourg du 25 au 27 octobre 2017, la 1ère conférence internationale du Timing Research Forum, qui a réuni plus de 270 personnes.

Nos résultats suggèrent des interactions complexes entre processus conscients et non conscients, avec une influence possible des buts actuels du sujet sur la façon dont son activité mentale est structurée inconsciemment, et réciproquement. La poursuite de ces travaux doit nous permettre de mieux comprendre ce qui gouverne cette structuration temporelle.
En outre, la confirmation des liens entre perturbations temporelles et troubles du soi dans la schizophrénie nous incite à développer des preuves de concept thérapeutiques ciblant les troubles temporels dans cette pathologie. Plusieurs contrats ont été obtenus avec cet objectif, destinés à vérifier l’implication de structures telles que le cervelet dans les troubles observés chez les patients, et à examiner la possibilité de cibler ces troubles avec des techniques de stimulation transcrânienne.

Deux études (de groupe et un cas unique) suggèrent que les patients souffrant de schizophrénie qui ont des troubles du soi minimal ont des difficultés à bénéficier du passage du temps : Martin B et al (2017). Fragile temporal prediction in patients with schizophrenia is related to minimal self disorders. Scientific Reports 7 : 8278.
Martin B et al (2018) Minimal self and timing disorders in schizophrenia: a case report. Front. Hum. Neurosci. 12:132.
Nous avons développé de nouvelles méthodes statistiques pour modéliser les couplages de fréquences de séries temporelles, importantes pour l’analyse de nos données MEG et EEG, chez l’homme et l’animal.
La Tour T. D et al (2017). Non-linear auto-regressive models for cross-frequency coupling in neural time series. PLoS Computational Biology, 13(12), e1005893.

Ordonner les événements dans le temps est inhérent à toutes les fonctions cognitives et sociales, notamment par l’intermédiaire des jugements de causalité. Or la capacité à ordonner les informations est perturbée dans la schizophrénie. Cependant, il n’est pas certain que l’ordonnancement temporel des événements soit fait automatiquement, sans effort : une simple succession de percepts pourrait ne pas suffire pour en dériver l’ordre. Par des voies différentes, nos 4 équipes convergent vers une hypothèse de travail forte: si certaines propriétés temporelles sont extraites automatiquement, comme la durée, des processus additionnels seraient nécessaires à la perception consciente de durée et d’ordre. Les processus impliqués dans la perception de l’ordre temporel restent mal connus. Or, seul l’ordonnancement temporel conscient est corrélé aux symptômes cliniques de la schizophrénie, suggérant que les processus temporels conscients et automatiques sont dissociés. La structure temporelle consciente des événements pourrait être inférée a posteriori, par la création d’une carte temporelle qui reconstruit la séquence entière des événements. Nous testerons un modèle en 2 étapes (extraction automatique puis construction d’une représentation interne de la structure temporelle) et des hypothèses spécifiques concernant les structures cérébrales et les activités neuronales impliquées. Dans ce but, nous combinerons des expertises en psychologie expérimentale, IRMf, MEEG, électrophysiologie et schizophrénie, avec des études chez l’homme et l’animal. Nous innoverons en développant un paradigme unique, commun à nos différentes équipes, pour contraster le traitement de l’ordre et de la durée. Le paradigme tire parti de la tâche classique de manipulation de périodes de préparation, qui permet d’examiner comment une information de durée (accumulation automatique vs. indice attentionnel) permet d’anticiper l’occurrence d’un événement. Le paradigme est également basé sur des tâches d’apprentissage associatif pour examiner l’extraction automatique vs. consciente de l’information d’ordre temporel. Pour comprendre comment le codage du moment d’occurrence des événements permet l’émergence d’une représentation d’ordre et de durée, nous explorerons les oscillations neuronales et les changements de couplage inter-fréquence liés au traitement de durée et d’ordre. Ces données seront acquises chez l’homme sain (M/EEG), et, pour explorer les structures cérébrales profondes et les effets de drogues psychotomimétiques, chez le rat. Le paradigme sera également appliqué auprès de patients schizophrènes (comportemental, IRMf et EEG), ainsi que auprès de leurs parents du 1er degré, afin de tester l’hypothèse selon laquelle les troubles de l’extraction automatique d’informations temporelles représentent un endophénotype de la schizophrénie. Chez les patients et leurs parents du 1er degré, nous explorerons également l’impact de l’ordre temporel sur les jugements de causalité, dont la perturbation pourrait sous-tendre le délire. Ceci nous permettra de déterminer si les troubles du traitement automatique de l’information temporelle représentent un facteur de vulnérabilité pour le délire.
Ce projet permettra de comprendre comment l’extraction automatique de la structure temporelle des événements mène à une représentation d’ordre et de durée. La compréhension de ces mécanismes permettra d’identifier des mécanismes susceptibles de jouer un rôle clef dans l’émergence des symptômes cliniques majeurs de la schizophrénie. En cela, notre projet donnera des outils empiriques pour caractériser des perturbations qui ont un impact majeur sur la structure temporelle de la conscience elle-même. Au total, c’est la collaboration entre une équipe spécialisée dans la recherche en psychiatrie et des équipes multidisciplinaires en neurosciences fondamentales, qui permettra de renouveler notre compréhension à la fois du traitement temporel et de la physiopathologie de la schizophrénie.

Coordination du projet

Anne Giersch (INSERM ADR Grand-Est)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

Neuro-PSI Institut des Neurosciences Paris-Saclay - CNRS
CEA/DRF/NEUROSPIN Comissariat à l'Energie Atomique et aux Energies Alternatives
CNRS DR12-LNC CNRS delegation Provence & Corse-LNC
INSERM U1114 INSERM ADR Grand-Est

Aide de l'ANR 817 397 euros
Début et durée du projet scientifique : octobre 2016 - 48 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter