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De la contrainte et du consentement. Recompositions des régulations dans les pratiques en santé mentale – CONTRAST

De la contrainte et du consentement. Recompositions des régulations dans les pratiques en santé mentale

Le Collectif Contrast a rassemblé des chercheurs qui s’interrogeaient sur les façons dont s’actualisent les principes de la démocratie sanitaire, dans le secteur de la santé mentale, où il est encore possible de se passer du consentement des personnes et de faire usage de la contrainte. En psychiatrie, il est juridiquement prévu, sous certaines conditions bien précises, d’hospitaliser et de soigner les malades sans leur consentement et même d’avoir recours à l’isolement et à la contention.

Etudier les régulations de la contrainte et du consentement en situation

Que ce soit pour le bien des malades par exemple, ou pour le bon fonctionnement du service, diverses formes de contraintes peuvent être mobilisées, sans faire l’objet du même encadrement. Mais en psychiatrie ou ailleurs, cet usage de la contrainte n’est pas sans poser de problèmes. Les chercheurs observaient que des conflits de normes et dilemmes moraux se produisent en situation, dès lors que les professionnels entendent concilier deux principes fondamentaux, celui de l’autonomie d’une part, celui de la protection d’autre part. Le programme Contrast a étudié ces conflits de normes, d’une part en examinant les règles juridiques, éthiques et déontologiques qui encadrent et contrôlent les pratiques, et d’autre part en rendant compte de la façon dont les professionnels mobilisent et produisent des règles en situation.<br /><br />Depuis quelques décennies, les règles juridiques et éthiques encadrant les pratiques professionnelles d’intervention sur autrui donnent une place accrue au principe du consentement dans les secteurs de la santé, du social comme du médico-social. Cette évolution transforme les formes prises par la contrainte dans les pratiques de soin, et la signification de son usage. Ces recompositions, particulièrement saillantes dans le domaine de la santé mentale, impliquent une actualisation des tensions normatives entre le souci civil des libertés individuelles et celui plus social de protection des personnes, tensions qui affectent aussi bien les instances juridictionnelles, judiciaires, professionnelles, ou administratives qui formulent et appliquent officiellement les principes, que les acteurs en situation confrontés à des dilemmes moraux dans leurs pratiques de soin. Elles redistribuent les frontières entre les pratiques valorisées et celles qui relèvent du « sale boulot ». Ces recompositions soulèvent des enjeux sociaux, politiques et moraux importants mal appréhendés par une littérature en sciences sociales qui tend à opposer contrainte et consentement.

Méthodologiquement, le programme Contrast a articulé un espace de discussion permanent avec des enquêtes ethnographiques. C’est en effet autour d’un séminaire mensuel que les évolutions normatives et les matériaux empiriques ont été discutés et analysés. Ces rencontres rassemblaient aussi bien des chercheurs impliqués ou non dans le programme et appartenant à diverses disciplines (sociologie, philosophie, droit), que des professionnels. Elles ont été l’occasion de tisser des réseaux relationnels et scientifiques à géométrie variable.

Les enquêtes de terrain, quant à elles, combinent des observations ethnographiques des activités de soin et d’accompagnement, des entretiens avec les professionnels, et un examen des écrits présents dans les services et de la façon dont ils sont mobilisés et produits en situation.

Résultats majeurs du projet

Outre une réflexion théorique pluridisciplinaire sur la notion de régulation et le « tournant juridique » dans l’encadrement des pratiques de soin et d’accompagnement, le projet a examiné au plus près des situations comment faisaient les professionnels quand, à défaut de pouvoir «protéger sans contraindre«, il fallait envisager de «contraindre pour protéger«. Neuf établissements ou services ont été enquêtés, concernant l’intervention à domicile et l’hébergement renforcé pour les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, l’intervention en santé mentale en direction des personnes en situation de grande précarité, l’hospitalisation psychiatrique des détenus, la consultation pour des personnes sous injonction de soin judiciaire, la protection des majeurs, l’hospitalisation d’enfants ayant des troubles autistiques et des troubles du comportement sévères, la vie en foyer de personnes ayant un handicap. Selon les contextes institutionnels étudiés, les matériaux empiriques donnent à voir plutôt le travail réalisé autour du recueil du consentement, ou alors la façon dont s’exerce ce qui est perçu ou désigné comme de la contrainte.

Qu’ils soient conduits à « forcer », à « influencer », à « coopérer », ou encore à « persuader » ou à « empêcher », on y voit que les professionnels de l’aide et du soin sont orientés par deux impératifs parfois contradictoires : l’impératif de protection d’un côté, l’impératif de liberté de l’autre. La régulation de leurs pratiques s’appuie sur deux registres : celui des droits fondamentaux, sans cesse réaffirmés ; celui des règles qui sont produites en continu au plus près des situations. Un tel mode de régulation questionne à nouveaux frais quelques-uns des enjeux actuels de la démocratie sanitaire.

Un tel mode de régulation questionne à nouveaux frais quelques-uns des enjeux actuels de la démocratie sanitaire.

Tout au long du projet, de nombreuses journées d’études et conférences pluridisciplinaires et internationales ont été organisées régulièrement. Un numéro spécial de revue ainsi qu’un ouvrage collectif en rendent compte. En outre de nombreuses publications individuelles et collectives sont parues pendant le projet ou à paraître cette année. Un ouvrage restitue plus spécifiquement les résultats des enquêtes empiriques. Plusieurs programmes de recherche connexes financés ont également émergé du programme Contrast. Un blog dédié (https://contrastcollectif.wordpress.com/), qui a été actif jusqu’au terme du projet, archive aujourd’hui les travaux conduits par le programme et les réseaux associés, ainsi que les actualités de la période sur ces questions.

Depuis quelques décennies, les règles juridiques et éthiques encadrant les pratiques professionnelles d’intervention sur autrui donnent une place accrue au principe du consentement dans les secteurs de la santé, du social comme du médico-social. Cette évolution transforme les formes prises par la contrainte dans les pratiques de soin, et la signification de son usage. Ces recompositions, particulièrement saillantes dans le domaine de la santé mentale, impliquent une actualisation des tensions normatives entre le souci civil des libertés individuelles et celui plus social de protection des personnes, tensions qui affectent aussi bien les instances juridictionnelles, judiciaires, professionnelles, ou administratives qui formulent et appliquent officiellement les principes, que les acteurs en situation confrontés à des dilemmes moraux dans leurs pratiques de soin. Elles redistribuent les frontières entre les pratiques valorisées et celles qui relèvent du « sale boulot ». Ces recompositions soulèvent des enjeux sociaux, politiques et moraux importants mal appréhendés par une littérature en sciences sociales qui tend à opposer contrainte et consentement.
Pour éclairer ces enjeux, le projet CONTRAST analyse les régulations des pratiques de soin de façon transversale aux découpages de l’action publique, en observant comment les différentes règles formalisées, juridiques, éthiques, déontologiques, valorisant le principe de consentement dans les pratiques de soin, s’appliquent ou non en situation. Il fait l’hypothèse que ces régulations existent non seulement dans la formulation juridictionnelle de ce principe mais aussi dans les manières de rendre compte ou de maintenir dans la discrétion les formes de contrainte que les pratiques de soin impliquent. Pour développer cette hypothèse, le projet articule une approche théorique originale des régulations avec une comparaison étendue de pratiques de soins dans des contextes juridiques et éthiques contrastés. La constitution d’une équipe pluridisciplinaire où sociologues, juristes, et philosophes collaborent, aussi bien dans les deux axes du programme scientifique que dans les différentes tâches empiriques, rend possible une telle ambition. Le premier axe, comparatif, vise à étudier cinq pratiques de soin en santé mentale (écoute, hygiène, contention, gestion des affaires personnelles, prise de médicament) dans des contextes d’exercices de la contrainte contrastés (unités d’hospitalisation, services ambulatoires…), soumis à des règles administratives variés (établissements et services sanitaires, médico-sociaux, médico-pénitentiaires). Le second axe, épistémologique, consiste à spécifier le concept de régulation, à la jonction des règles stabilisées, instituées, et de leur usage hétérogène dans l’encours de la vie sociale. Cette spécification situera l’intérêt de ce concept pour éclairer les pratiques de soin, à l’articulation des différentes traditions théoriques et disciplinaires présentes dans les débats actuels. Ce programme scientifique sera d’abord mis en œuvre par deux tâches empiriques conjointes : d’une part, plusieurs corpus de textes seront constitués afin d’éclairer l’ordonnancement des règles qui s’appliquent localement aux pratiques de soin identifiées ; d’autre part sera élaboré un corpus de cas associant observations en situation et discours sur les pratiques. Deux éléments structurants assurent faisabilité et cohérence : les lieux choisis sont liés aux travaux antérieurs des membres de l’équipe ; une méthode commune est mise en œuvre. L’analyse pluridisciplinaire de ce matériau se traduira par l’élaboration de différents comptes-rendus analytiques et réflexifs ouvrant à des publications variées. Ils seront discutés régulièrement lors de manifestations scientifiques (3 journées d’étude, 5 ateliers internationaux, un colloque), qui participent aussi de la valorisation de la recherche et du renforcement des échanges et collaborations en France et à l’étranger.

Coordination du projet

Livia VELPRY (Centre de Recherche, Medecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société) – livia.velpry@parisdescartes.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CERMES3 Centre de Recherche, Medecine, Sciences, Santé, Santé Mentale, Société

Aide de l'ANR 185 980 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2013 - 42 Mois

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