FRAL - Franco-allemand en sciences humaines et sociales

La traite des êtres humains saisie par les institutions. Une comparaison France/Allemagne – ProsCrim

ProsCrim - La traite saisie par les institutions. Une comparaison France / Allemagne

La lutte contre la traite : entre gouvernement des frontières et régulation des sexualité

Une politique et ses acteurs : comprendre les catégories institutionnelles à partir des pratiques des agents

Dans un contexte international et national marqué par la multiplication des débats et des instruments visant la lutte contre la traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle, le projet ProsCrim s’est intéressé aux pratiques institutionnelles de qualification et de catégorisation des formes d’exploitation entourant l’exercice de la prostitution en France et en Allemagne. L’enquête visait notamment à éclairer les ressorts des catégories institutionnelles utilisées (et notamment celles de « victime » / « auteur » de traite des êtres humains). Pour ce faire, le dispositif méthodologique prévoyait à la fois une ethnographie des interactions entre les personnes en situation de prostitution et/ou de proxénétisme et les acteurs étatiques et non étatiques chargés de leur contrôle et de leur prise en charge (associations, acteurs policiers et judiciaires) ; et une ethnographie des arènes et acteurs ayant permis la constitution, la consolidation et la circulation de formes d’expertise sur la traite, et en particulier sur l’identification de ses « victimes ». Enfin, le projet se fixait comme objectif d’interroger, à travers la mise en perspective de deux régimes différenciés de régulation de la prostitution (réglementariste en Allemagne et abolitionniste en France), le poids du cadre légal sur les pratiques de catégorisation mises en œuvre localement.

Le projet ProsCrim s’est appuyé sur une équipe de chercheur.e.s français.e.s et allemand.e.s issus des sciences politiques, de la sociologie et de la philosophie politique. S’inspirant d’un courant de recherche issu des travaux de Lipsky aux Etats-Unis et prônant une approche ethnographique des institutions étatiques (« Etat au guichet »), le projet entendait contribuer aux travaux franco-allemands proposant une sociologie de l’Etat en adjoignant à ces analyses comparées un étayage ethnographique encore peu déployé. De nombreuses heures d’observations ont ainsi été recueillies dans les salles d’audiences des tribunaux lors de procès pour proxénétisme et/ou traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, dans les locaux des associations venant en aide aux personnes prostituées, ainsi que dans les formations, conférences et réunions réunissant acteurs associatifs et pouvoirs publics autour de la question de la traite et de l’identification de ses victimes. Ces observations ont été complétées par des entretiens avec les travailleurs/-euses sociaux/-ales des associations, avec les magistrat.e.s et avocat.e.s, avec les policier.e.s spécialisé.e.s ou non dans la lutte contre le proxénétisme, ainsi qu’avec les « experts » issus des milieux universitaires, militants ou étatiques.

Le projet ProsCrim a notamment permis de mettre en lumière la manière dont les politiques françaises de lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, s’inscrivant dans un cadre abolitionniste et présentant la traite comme un phénomène étroitement liée à la question migratoire, se situent à l’articulation entre des logiques de contrôle des frontières et des logiques de régulation des déviances sexuelles. Les pratiques locales de labellisation des situations d’exploitation, en focalisant sur les étranger.e.s la traque de pratiques déviantes, semblent s’inscrire ici dans un héritage post-colonial faisant du contrôle de l’intime un lieu privilégié de la compatibilité des étranger.e.s avec la communauté nationale.

Au-delà du cas spécifique de la traite, les analyses développées dans le cadre du projet contribuent à la compréhension des politiques publiques, en particulier dans le domaine de l'immigration et de la prostitution, et plus largement de nourrir le courant de recherche prônant une ethnographie de l'Etat et de ses agents.

Le projet ProsCrim a donné lieu à un certain nombre de communications, en particulier dans le cadre de conférences internationales, ainsi qu’à un colloque final en anglais et français (Programme joint en annexe). Ces échanges visaient notamment à ouvrir le dialogue avec les travaux anglo-saxons analysant la dimension genrée et racialisée des politiques de lutte contre la traite, en apportant une contribution ethnographiquement informée à un champ de recherche dominé par les analyses macro-sociologiques. Deux ouvrages sont en cours de constitution (en français et en anglais), et des publications dans différents supports (revues, ouvrages collectifs), individuelles ou collectives, sont parues ou à paraître.

La recherche proposée ici vise à interroger les interactions entre prostituées migrantes et institutions chargées de leur contrôle et/ou prise en charge au regard des mécanismes de catégorisation institutionnelle s’y déployant. Il s’agit notamment de s’intéresser au rôle particulier que revêt, dans ces interactions et les catégorisations qui s’y opèrent, la qualification de « victime de la traite » au prisme de laquelle il semble que la prostitution de femmes étrangères soit souvent envisagée par les discours médiatiques et politiques dominants. La mise en perspective de deux régimes différenciés de régulation de la prostitution (réglementariste en Allemagne et abolitionniste en France) doit permettre, dans un contexte de recherche souvent prisonnier de débats nationaux très clivés autour des politiques de régulation du commerce sexuel, d’interroger le poids du cadre légal sur les pratiques d’administration mises en œuvre localement. L’équipe interdisciplinaire du projet, composée de chercheurs et post-doctorants français et allemands spécialistes des questions de traite et de prostitution, entend contribuer à enrichir les travaux disponibles à travers une démarche méthodologique originale alliant analyse du cadre légal national et international d’une part et ethnographie des pratiques étatiques et associatives de contrôle et/ou de prise en charge des prostituées étrangères d’autre part. La confrontation entre discours et pratiques visera notamment à mettre à jour la manière dont sont (ou non) mobilisées, dans les interactions quotidiennes avec les « publics » visés, les catégories prévues par le cadre légal, et notamment ici celle de « victime de la traite ». Le cas particulier de la traite, et la dichotomie entre victime / coupable qui traverse son appréhension par les institutions, permettra alors d’affiner la compréhension des mécanismes d’administration de la preuve (entre dossiers recevables et irrecevables) à travers la mise en évidence du caractère souvent contradictoire des critères/normes/règles sur lesquels un street level bureaucrat peut simultanément ou successivement s’appuyer pour opérer ce travail de tri. Ce faisant, il s’agira, au-delà du cas particulier de la traite, de chercher à saisir les évolutions de l’action publique (envisagées ici dans le domaine de la sécurité) et d’inscrire ainsi les analyses déployées dans un ensemble de recherches plus vaste articulé autour de la sociologie de l’Etat et de ses agents.

Coordination du projet

DARLEY Mathilde (Organisme de recherche)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

Politik, Uni Leipzig Universität leipzig, Institut für Politikwissenschaft

Aide de l'ANR 244 845 euros
Début et durée du projet scientifique : juin 2014 - 36 Mois

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