Création littéraire et savoirs biologiques au XIXe siècle – BIOLOGRAPHES

La construction d’un corpus mixte (scientifique et littéraire), son interrogation à l’aide d’outils numériques, l’expérimentation d’un prototype d’application Web interactive pour la construction des réseaux de relations entre écrivains et scientifiques et d’un autre outil numérique mettant en évidence les citations entre les textes (littéraires et/ou scientifiques), tout cela nous a aidés à étudier les influences réciproques entre écrivains et savants, un partage des savoirs et le rôle de la littérature dans leur diffusion. Afin d’affiner l’analyse textuelle qui a été menée sur les œuvres littéraires, nous sommes parfois remontés jusqu’aux manuscrits pour comprendre la genèse des représentations, des discours, des formes esthétiques. L’étude de la diffusion a fait apparaître, à côté des influences anglo-saxonnes bien connues, le rôle en France de scientifiques allemands comme Haeckel dans le succès du darwinisme et ses distorsions politiques. L’étude des textes et la confrontation interdisciplinaire a permis de montrer des décalages temporels et conceptuels entre l’histoire de la biologie et la littérature, des télescopages ou des hybridations de modèles de pensée.

Ce projet a permis d’appréhender conjointement l’histoire des savoirs et celle des formes esthétiques, l’invention par exemple d’un lyrisme du vivant paradoxal par son impersonnalité. Il a confirmé le rôle des savoirs biologiques dans l’invention de nouvelles représentations prégnantes (conceptions du temps, des races…) qui ont un impact sociétal, bien au-delà du champ scientifique ou littéraire. Des outils numériques – expérimentés ou inventés – ont contribué à l’étude des rapports intertextuels, à la reconstruction des réseaux savants/écrivains, à l’analyse de la structure sémantique des textes.

1) Le programme franco-allemand BIOLOGRAPHES a retenu l’attention d’une équipe polonaise qui se joint maintenant à l’équipe française pour un nouveau programme sur les formes de vie et les formes littéraires (financé par la Pologne). 2) Le programme BIOLOGRAPHES était centré sur l’écriture littéraire des savoirs biologiques ; plusieurs chercheurs de l’équipe s’orientent aussi désormais vers des recherches sur l’imaginaire et le discours scientifique dans les sciences du vivant, vers des questions connexes sur le merveilleux scientifique ou l’importance de la physiologie dans la littérature du XIXe siècle.

Le site Internet a publié des résultats partiels pendant la préparation de l’ouvrage collectif Mythes et savoirs biologiques dans la littérature du XIXe siècle. On y trouve aussi des informations sur les outils numériques et un répertoire des bases de données. Le corpus du programme est mis à disposition du public dans notre Bibliothèque : corpus.biolographes.eu D’autres publications (numéros de revue, actes du colloque final) apportent des compléments de collaborateurs plus occasionnels.

Le mot « biologie » inventé au début du XIXe siècle simultanément en Allemagne et en France (par Treviranus et Lamarck) marque la formation d’un nouvel objet d’étude qui suscite aussitôt l’engouement des spécialistes d’autres disciplines et des écrivains. La littérature française s’empare très vite des savoirs biologiques, les utilise de manière plus ou moins fiable, les commente, les prolonge et y trouve des thèmes et des formes, participant ainsi à leur promotion en un fait culturel global, par des discours qui ont, à leur tour, infléchi la réception et, parfois, la pensée des savants eux-mêmes. C’est cette circulation des savoirs que nous voulons aborder dans ce projet qui se focalise sur les savoirs provenant de la biologie, tant parce que l’invention du terme signale l’émergence d’une nouvelle conscience disciplinaire (en rupture avec l’ancienne « histoire naturelle »), que parce que nous touchons ainsi aux transformations d’un savoir fondamental, lié à la conceptualisation même du vivant, là où la recherche existante a privilégié d’autres savoirs (physique, mathématiques, médecine, géologie) ou l’irruption de la technique. Biolographes entend ainsi combler un manque majeur, pour livrer sur l’impact des savoirs biologiques dans la création littéraire française du XIXe siècle une étude de référence, élaborée du point de vue d’une critique littéraire ouverte à l’interdisciplinarité, et destinée tant aux spécialistes de la littérature qu’aux historiens de la culture et des sciences. À cette fin, nous nous proposons d’apporter un inventaire inédit et représentatif d’œuvres littéraires se confrontant aux savoirs biologiques, en prenant en compte auteurs majeurs et minores, textes publiés, et écrits privés ou avant-textes. Ces documents feront l’objet d’analyses textuelles et d’études de masse, avec un triple objectif :
- comprendre les canaux et les modalités de diffusion de ces savoirs auprès des écrivains,
- analyser l’usage et la fonction des savoirs biologiques au sein des œuvres, sous un angle thématique (de quoi parlent-ils, avec quelles inflexions épistémologiques ?), pragmatique (pour quels effets ?) et formel (quels sont les processus de littérarisation, la productivité narrative ou poétique, les effets structurants de ces savoirs ?) ; cela présuppose aussi l’identification des enjeux idéologiques et rhétoriques de ces savoirs (le recours à la biologie sert des argumentations plus larges, de nature philosophique, raciale, politique et esthétique).
- modéliser les coïncidences ou les décalages temporels et conceptuels entre histoire des sciences et littérature.
Le choix de présenter le projet au titre des programmes franco-allemands est justifié par la nature de notre objet. Car sans préjuger d’autres influences étrangères, souvent mieux étudiées (celle de Darwin par exemple), cette étude ne saurait être menée sans prendre en compte l’impact considérable des scientifiques allemands (Haeckel en particulier) sur les écrivains français.