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L'objectivité en mathématiques par la représentation – MathObRe

L'objectivité en mathématiques par la représentation

Le tournant pratique en philosophie des mathématiques peut-il contribuer à clarifier le rôle des représentations pour l’ontologie et le raisonnement mathématique ? est la question principale du projet.<br />Nous analyserons dans quel sens des stipulations déterminent des objets en faisant appel à des représentations, dans quel sens la rigueur déductive peut dépendre de ces stipulations et dans quel sens il est possible de caractériser néanmoins la prouvabilité informelle par des moyens formels.

Représentation, constitution d'objets et raisonnement

Le but de notre projet est de plaider en faveur d'un double (hypo-)thèse:<br />(a) des représentations mathématiques établies par des stipulations contribuent à la constitution de l'ontologie mathématique et à la mise en forme du raisonnement mathématique.<br />(b) La constitution d’objets mathématiques est analogue à la constitution d’objets scientifiques.<br />Les enjeux sont à la fois méthodologiques — il s’agit de repenser les fondements des mathématiques — et ontologiques ; car on pourra en effet tester une position intermédiaire entre le platonisme et le nominalisme, d'une part (concernant les objets mathématiques), et entre le formalisme et l'intuitionnisme, d'autre part (concernant raisonnement mathématique). Les arguments que nous discutons sont à la fois historiques et systématiques.<br /> <br />Étant donné la façon dont nous admettons les objets mathématiques constitués par des stipulations, nous allons étudier différents cas où les objets furent constitués historiquement de cette manière, et ceci en isolant certains artéfacts empiriques, en les prenant comme représentations concrètes d'objets abstraits qui sont identifiés, à leur tour, en fixant leurs relations avec ces représentations. Les objets mathématiques admettant des représentations concrètes peuvent être considérés comme réels, par opposition à celles, idéaux qui n’admettent pas de telles représentations.<br />Concernant le raisonnement mathématique, notre objectif est de clarifier deux possibilités pour interpréter la situation: concevoir un raisonnement mathématique qui se réfère à la représentation mathématique ou utiliser une nouvelle logique dont les inférences sont pourvues d'un « contenu«. <br />Une fois obtenue une solution de ce problème, notre recherche sera consacrée à une comparaison entre les reconstructions logiques bien connues des termes théoriques et des entités de la philosophie des sciences et la reconstruction logique des termes et entités mathématiques dans les fondements des mathématiques.

La méthodologie de notre recherche combinera des considérations philosophiques abstraites avec une analyse logique. Pourtant, des enquêtes historiques (basées sur l'analyse des textes et des influences mutuelles), et l'attention à la pratique mathématique en tant que telle seront également exploitées. C’est pourquoi nous incluons dans le projet des mathématiciens et des historiens des mathématiques. Nous demandons également la collaboration de certains spécialistes français et allemands internationalement reconnus, qui n’appartiennent pas aux trois partenaires institutionnels, et nous avons associé d'autres collègues de l'étranger, avec lesquels nous sommes habitués à collaborer.
La thèse soutenue semble, pour ainsi dire, désigner la limite à laquelle convergent les positions philosophiques classiques en matière de fondements des mathématiques: Les trois principaux initiateurs de ce projet, d'abord engagé dans des traditions pragmatique (Heinzmann), formaliste (Leitgeb) et platonicienne (Panza), sont venus pour élaborer et partager une position commune face aux difficultés de leurs approches originales. C’est la principale raison de la collaboration française-allemande. Sa synergie devrait permettre une meilleure élaboration de cette position commune sur la base des différents points de départ.

Du côté français, le projet est directement lié à la chaire d'excellence de M. Detlefsen «Idéal de preuves« (ANR, 2007-201), dirigé entre autres par G. Heinzmann et M. Panza. Mais, au lieu de se concentrer sur les «éléments idéaux» impliqués dans les théories et les preuves mathématiques, nous nous concentrons sur le rôle de la représentation, en particulier si la représentation possède une affinité aux objets empiriques.
Du côté allemand, le projet a été initié par deux courants de recherche qui ont émergé au MCMP au cours des deux dernières années: i) l'étude de l’ante rem structuralisme dans la philosophie des mathématiques; ii) la question si les concepts logiques sont constitués par des règles logiques, et si les concepts théoriques sont déterminés par des théories scientifiques.
Durant les dernières décennies, de nombreuses études ont cherché à surmonter les positions classiques de l'ontologie et de l'épistémologie mathématique telles que le platonisme, le nominalisme, et le pragmatisme classique (voir Kitcher 1984). Ces efforts suggèrent de considérer la pratique mathématique comme une source pour trouver une solution aux problèmes auxquels les positions classiques cherchaient une réponse. Ceci constitue aujourd'hui une tâche cruciale pour la philosophie des mathématiques, dont en témoignent les activités et les publications de l'Association pour la philosophie de la pratique mathématique, qui compte parmi ses membres de nombreux participants à notre projet.
Cependant, même prises dans leur totalité, toutes ces études ne donnent pas de réponse à notre préoccupation principale: clarifier le rôle des représentations dans le raisonnement et les preuves mathématiques et déterminer la façon dont elles contribuent à l'ontologie et la compréhension mathématique. Nous croyons donc que notre projet pourrait ajouter des indications importantes pour la compréhension de la pratique mathématique.

Les perspectives de nos objectifs par rapport aux quatre tâches scientifiques (tâche (2) à (5)) sont les suivantes:
(a) Identification par la représentation
Parsons (2008) mentionne à titre d'exemples d'objets mathématiques quasi-empiriques : des figures de la géométrie plane d'Euclide, des nombres naturels conçus comme des chaînes d’inscriptions (IIIIII….), des petits ensembles finis. Cependant, il n’examine que le second exemple. Ceci suggère de développer d'autres exemples d'identification par la représentation ce qui constitue la perspective principale du task (2).
(b) Variétés d’identification représentationnelle
Ce task (3) a un caractère comparatif et spécifiquement philosophique. Sa caractéristique de base est de réfléchir sur la notion générale d'identification par la représentation par rapport à la notion d'intuition, et de comparer les différentes variétés d'identification d’objets mathématiques par la représentation.
(c) Qu’est-ce qu’une preuve informelle?
Le task (4) vise à étudier la relation entre le pragmatisme et le tournant pratique en se concentrant sur le concept de la preuve informelle et les éléments esthétiques (au sens de Goodman) dans les preuves mathématiques. Notre principale perspective est de donner quelques critères, confirmés par la pratique mathématique, afin de décider laquelle de différentes preuves d'un théorème est plus explicative qu’une autre.
(d)Termes et entités théoriques vs termes et entités mathématiques
La principale perspective du task (5) est de fonder la thèse suivante : les objets mathématiques sont, en grande partie, déterminés par les termes et les théories mathématiques, de la même manière que les objets théoriques sont déterminés par des termes théoriques et les théories selon l'analyse de Carnap. La représentation mathématique serait donc antérieure à l'ontologie des mathématiques.

Heinzmann, G. (1999), “Poincaré on Understanding Mathematics”, Philosophia Scientiae 3 (2), 43-60.
Heinzmann, G. (2013), L’intuition épistémique. Une approche pragmatique du contexte de justification en mathématiques et en philosophie, Paris : Vrin (Mathesis).
Heinzmann, G. (2015), Pragmatism and the Practical Turn in Philosophy of Mathematics: Explanatory Proofs, in : E. Agazzi, G. Heinzmann (eds), Pragmatism and the Practical Turn in Philosophy of Sciences. Milan : Franco Angeli Editore (in press).
Jullien, C. (2008), Mathématiques et esthétique – Une Exploration goodmanienne, Presses universitaires de Rennes, coll. Aesthetica, 2008.
Leitgeb, H. and J. Jadyman (2008), “Criteria of Identity and Structuralist Ontology”, Philosophia Mathematica 16/3, 2008, 388-396.
Leitgeb, H. (2009), “On Formal and Informal Provability”, in: O. Linnebo and O. Bueno (eds.), New Waves in Philosophy of Mathematics, Palgrave Macmillan, New York, 2009, pp. 263-299.
Leitgeb, H. (2011), “New Life for Carnap's Aufbau?”, Synthese 180/2, 2011, 265-299.
Panza, M. (2011a) “Rethinking Geometrical Exactness”, Historia Mathematica, 38, 1, 2011, pp. 42-95.
Panza, M. (2011b) “The Twofold Role of Diagrams in Euclid’s Plane Geometry”, Synthese, 186, n° 1, 2012, pp. 55-102.
Panza, M.& Sereni, A. (2013), Plato’s Problem, Palgrave, Basingstoke, 2013.
Rebuschi, M. (2006). “IF & Epistemic Action Logic”. In J. van Benthem et al. (eds.): The Age of Alternative Logics. Assessing Philosophy of Logic and Mathematics Today, Dordrecht, Springer, 261-281.
Sinaceur, H.B. (2008), Richard Dedekind: La création des nombres, Vrin, Paris, 2008.
Steinberger, F. (2013), «On the Equivalence Conjecture for Proof-Theoretic Harmony«, Notre Dame Journal for Formal Logic 54 (1), 79-86.
Wagner P. (2012), ed. Carnap’s Ideal of Explication and Naturalism, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

En ce qui concerne le monde physique, l’attitude réaliste standard, qui conçoit les objets comme existant indépendamment des représentations que nous avons d’eux, pourrait être (prima facie) plausible : si les choses se passent normalement, nous représentons les objets physiques comme nous le faisons parce qu’ils sont tels et tels. Au contraire, comme nous voulons le soutenir, la situation est inversée dans le monde mathématique : si les choses se passent normalement, les objets mathématiques sont tels et tels parce que nous les représentons comme nous le faisons. Cela ne signifie pas que les mathématiques ne peuvent pas être objectives : les représentations mathématiques peuvent être soumises à des contraintes qui imposent l’objectivité à ce qu’elles constituent. Si cela est exact, nous devons d’abord comprendre comment fonctionnent les représentations mathématiques afin de comprendre la nature des objets mathématiques. Dit dans les termes de la célèbre formule de Kreisel : « le problème n’est pas l’existence des objets mathématiques mais l’objectivité des jugements mathématiques » (Dummett 1978, p. xxxviii).
Le problème auquel nous nous attaquons a trait à la question philosophique de la clarification du rôle des représentations dans le raisonnement mathématique et de la manière dont elles contribuent à l’ontologie et à la compréhension mathématiques. Il s’agit d’une enquête à nouveaux frais sur un problème classique en philosophie des mathématiques, qui relie la compréhension aux preuves et à la façon dont on conçoit l’ontologie des mathématiques. Toutefois, notre point de départ n’est ni la théorie classique de la démonstration, ni la métaphysique classique. Bien plutôt, nous considérons le problème en ouvrant la porte au tournant pratique en science.
Dans notre perspective, la question n’est pas de trouver une formalisation invariante du raisonnement mathématique, pas plus que d’offrir un nouvel argument en faveur de l’existence des objets mathématiques. Nous nous demandons plutôt comment sont constitués des domaines appropriés d’objets mathématiques (abstraits), en recourant à différentes sortes de représentations, et comment un raisonnement approprié sur eux est autorisé.
En conséquence, nous prévoyons d’analyser :
(i) en quel sens, dans la pratique mathématique, des stipulations pertinentes déterminent les objets en recourant à des représentations appropriées ;
(ii) en quel sens la rigueur inférentielle, considérée dans une perspective (informelle) du contenu, peut dépendre de ces stipulations ;
(iii) en quel sens il est néanmoins possible de caractériser (en entrelaçant études philosophiques et recherches scientifiques) la prouvabilité informelle par des moyens formels, ce qui permet d’utiliser la logique et les mathématiques comme un outil pour l’épistémologie.
Notre approche se démarque également des approches fondationnalistes classiques des mathématiques et de la logique, telles que le platonisme et le nominalisme classiques, qui ont en commun une « attitude existentielle » vis-à-vis des objets mathématiques (ils tiennent tous deux pour cruciale la question de leur existence ou de leur non-existence, bien qu’ils y apportent des réponses opposées) et considèrent le raisonnement mathématique comme invariant.

Coordination du projet

Gerhard HEINZMANN (Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie — Archives Henri-Poncaré) – gerhard.heinzmann@univ-lorraine.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IHPST Institut d'Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques
IECN Institut Elie Cartan de Lorraine
MCMP Munich Center of Mathematical Philosophy
IHPST / CNRS IHPST
LHSP-AP Laboratoire d'Histoire des Sciences et de Philosophie — Archives Henri-Poncaré

Aide de l'ANR 182 023 euros
Début et durée du projet scientifique : février 2014 - 36 Mois

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