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Ni guerre, ni paix ? Les nouages de la violence et du droit dans la formation et la transformation des ordres politiques – (NI)²

Ni guerre, ni paix ?

Les sociétés contemporaines face aux métamorphoses de la violence organisée

Comment les violences et les conflits défient aujourd’hui nos catégories d’entendement et d’action et obligent les institutions à reconsidérer les fondements des formes légitimes de la violence

Le projet (NI)2 a eu pour objectif de décrire empiriquement et de caractériser théoriquement les situations sociales dans lesquelles il est devenu difficile de savoir si elles relèvent de la guerre ou de la paix. Cette difficulté ne concerne pas au premier chef les acteurs sociaux dits « ordinaires ». Elle pose d’abord un problème institutionnel, en particulier dans le domaine de l’organisation de la violence légitime, qui est tout entière fondée sur une division du travail entre intervenants en situation de guerre (les organes militaires) et intervenants en temps de guerre (les organes policiers, dans leurs fonctions judiciaires et policières). Dans cette perspective, le choix a été fait de se défaire d’emblée d’une limitation importante des recherches en cette matière : celles-ci imposent le plus souvent aux objets un partage préalable entre le contexte des démocraties avancées et celui des régions plus périphériques, celles du « grand sud », réputées se caractériser par des formes de violence endémiques. Dans ce projet, nous avons voulu suspendre cette partition préalable afin de pratiquer un comparatisme radical qui ne préjuge pas des différences. S’agissant d’un projet de recherche fondamentale, les résultats obtenus résident en premier lieu dans un déplacement des catégories scientifiques relatives à l’expérience de la violence dans les sociétés modernes et contemporaines. Ce déplacement a toutefois des implications importantes sur les catégories de l’action institutionnelle que ce projet amène à réviser.

La nature de (NI)2 a déterminé une organisation particulière du travail en son sein. L’équipe a réuni des chercheuses et chercheurs spécialisés dans l’étude d’objets particuliers, retenus pour leur pertinence au regard du projet. Chacun des membres de l'équipe s’est efforcé de réinvestir cet objet d’étude au regard de la problématique commune, c’est-à-dire, à la fois, pour alimenter cette problématique et la réfléchir dans chaque cas. Dans un tel dispositif à deux niveaux, le travail collectif a consisté à rapprocher les démarches en les inscrivant dans un espace de variation. Cette opération a été conduite suivant quatre principes méthodologiques régulateurs : (1) un comparatisme « de l’incomparable » (Détienne 2000), puisqu’il s’est agi de saisir à l'aide d’instruments conceptuels communs des situations hétérogènes ; (2) une historisation systématique, dans la mesure où nous voulions nous donner les moyens de prendre la mesure exacte des transformations récentes dans la conflictualité ; (3) une interdisciplinarité contrôlée, car, étant donné que les chercheuses et chercheurs impliqués dans le projet appartiennent à différentes disciplines des sciences sociales, la comparaison entre objets d’études supposait de mener conjointement un dialogue interdisciplinaire ; (4) une réflexivité assumée, étant entendu que nous avons considéré que les savoirs de nos disciplines n’étaient pas détachés des processus étudiés. Cette démarche s’est avérée fructueuse en dépit des difficultés qu’elle a pu par moments amener (en particulier dans le dialogue interdisciplinaire).

Outre les avancées réalisées par les travaux particuliers menés dans le cadre et avec l’appui de (NI)2, on mentionnera trois résultats généraux importants, susceptibles de fournir des hypothèses à des recherches à venir : (1) Dans un contexte scientifique et intellectuel dans lequel les transformations contemporaines de la conflictualité donnent lieu à des jugements sur la « fin de l’État », en suggérant soit un « retour au Moyen Âge » soit la projection dans une « postmodernité liquide », nos travaux indiquent la plausibilité d’une poursuite de la modernité, à travers un plus grand raffinement dans les distinctions catégorielles qui fondent l’action publique et, corrélativement, l'approfondissement de la division du travail dans l'exercice de la violence d’État. (2) L’indétermination entre la guerre et la paix dont témoignent aujourd’hui de façon croissante les violences armées peut en dernière instance se ramener à une indétermination croissante entre la guerre et le crime. Si l’on considère, comme les travaux conduits dans le cadre du projet le suggèrent, que la séparation de la guerre et du crime est le partage principal en matière de régulation de la violence légitime, les tendances montrent que l’intensification de cette division du travail consistera à reproduire cette distinction à des niveaux inférieurs de l’action publique. (3) Le terrorisme n’est pas simplement un aspect des transformations de la conflictualité et de l’accroissement des situations « ni de guerre ni de paix » ; il est le nom donné, dans nos sociétés, à ces processus. À ce titre, les tentatives de définir, d’étudier et de traiter le terrorisme sont vouées à l’échec tant que les moyens employés cherchent à réintégrer le phénomène dans le cadre d’une séparation stricte entre guerre et crime.

L’ambition (NI)2 a été grande, sans doute trop grande au vu des forces engagés. Mais cette ambition a permis de réaliser des avancées importantes, de défricher des questions qui ouvrent d’amples perspectives et de commencer à déplacer les catégories de la recherche sur les conflits violents et les ordres politico-juridiques. Le projet a surtout vu s’établir des rapports de collaboration entre chercheurs de différentes disciplines qui s’inscrivent dans la continuité et sont investis dans de nouveaux projets, en France comme dans le contexte international.
On insistera en particulier sur le lien noué entre les historiens, les juristes et les sociologues impliqués dans le projet qui poursuivent le travail engagé en commun dans le cadre du projet. Cinq membres de l’équipe du projet (NI)2 ont ainsi obtenu un financement de la FMSH pour deux ans (2018-2019) afin d’approfondir le lien entre situations « ni de guerre ni de paix » et terrorisme.
En outre, les deux coordinateurs ont été sollicités pour s’associer à une équipe de recherche temporaire de l’Université de Bielefeld sur le sujet de la « praxéographie comparative ». Ce groupe de recherche poursuit des objectifs méthodologiques en partie fondés sur l’expérience du projet (NI)2. La contribution attendue dans ce contexte sera de mettre au point des méthodes d’observation permettant de documenter la manière dont les acteurs et les institutions font ou manquent de produire, dans l’action, la distinction entre guerre et crime.

(NI)2 a donné lieu à huit manifestations scientifiques nationales et internationales et a permis de nombreuses publications, collectives et individuelles. Au-delà de la production scientifique proprement dite, on notera la grande variété des formes de restitution du travail conduit dans le cadre du projet, une variété assez rare pour un projet de recherche fondamentale. On compte par exemple une école d’été internationale à destination d’étudiants français et canadiens, de même que plusieurs présentations devant des institutions publiques (institutions policières, Assemblée nationale, Défenseur des droits, institutions diplomatiques, ministère de la Justice). Les attentats de 2015 et de 2016 ont eu un impact fort sur le projet et cette résonance s’est traduite par de nombreuses sollicitations, à l’occasion d’événements publics ou dans la presse.

(NI)² est un projet de recherche fondamentale dans les sciences sociales, historiques, politiques et juridiques, mené par une jeune équipe pluridisciplinaire associant anthropologues, historiens, juristes, philosophes, politistes et sociologues. Il poursuit l’objectif de contribuer à l’étude de la formation et de la transformation des ordres politiques. Il s’appuie pour ce faire sur l’hypothèse selon laquelle un ordre politique peut se caractériser par les nouages de la violence et du droit qui s’y observent. Ces ordres politiques seront étudiés suivant la méthode consistant à les observer dans des moments d’épreuve, lorsque ces nouages de la violence et du droit subissent des dislocations, les rendant jusqu’à un certain degré incertains et appelant des actions visant à rétablir une situation stable. Le résultat attendu est de pouvoir réduire l’indétermination catégorielle qui pèse aujourd’hui sur la qualification d’une diversité de formes de conflictualité contemporaines. De ce point de vue, une originalité importante du projet est de traiter dans un même cadre des nouages de la violence et du droit ordinairement traités séparément, en refusant d’opposer les problèmes de « sécurité » que rencontrent les sociétés libérales et les économies avancées et les problèmes endémiques de violence souvent considérées comme propres aux pays du Sud.
La démarche de (NI)² se caractérise par : (1) Une forte implication empirique : c’est sur la base de l’étude de configurations socio-politiques précises que le travail commun est engagé. (2) Un souci comparatif, par l’élaboration d’un espace de variation dessiné par l’identification des critères sous le rapport desquels les cas étudiés se rapprochent et se distinguent. (3) Une attention à la pro-fondeur historique : si le projet de recherche est informé par la problématique des nouveaux types de conflits violents apparus avec la « globalisation », le retour sur l’histoire permet de mesurer ce qui fait la nouveauté des configurations actuelles. (4) Une enquête conceptuelle, les épreuves empiriques s’accompagnant d’élaborations notionnelles qui font partie des phénomènes à considérer. (5) Un effort réflexif, étant donné que les notions descriptives, analytiques et conceptuelles des sciences sociales, historiques, politiques et juridiques doivent se comprendre dans leur rapport aux langages forgés dans des épreuves. (6) Une conception exigeante de l’interdisciplinarité : chacune des disciplines sera mobilisée dans le respect de ses exigences techniques propres, seule garantie d’un authentique espace commun de confrontation et d’échange.
Plusieurs éléments de contexte définissent en outre (NI)² : (1) Il est le fruit du travail entrepris depuis près de trois ans dans un séminaire de recherche dans lequel la problématique commune a été élaborée et l’équipe s’est formée. (2) Cette équipe rassemble des spécialistes dans leurs domaines qui contribueront au projet collectif en mettant à profit leur expertise acquise. (3) Le projet est rattaché au Laboratoire interdisciplinaire d’études sur les réflexivités (LIER), un centre récemment créé au sein de l’École des hautes études en sciences sociales, qui propose un projet intellectuel original, associant philosophie, sociologie et histoire en vue d’étudier les phénomènes de réflexivité sociale. (4) Il s’inscrit au cœur des intérêts du Labex TEPSIS auquel sont affiliés les membres de l’équipe associés au LIER. (5) Il s’inscrit dans l’espace international de la recherche et vise à y conquérir des positions fortes, en investiguant ce qui constitue le point faible de nombre de travaux : le contrôle méthodologique des démarches entreprises et des notions mobilisées. (6) Enfin, il répond à une demande sociale forte qui s’exprime dans de nombreuses instances (nationales, européennes et internationales, publiques et privées, civiles, policières et militaires) amenées à intervenir dans des situations de conflits tout en manquant de repères généraux.

Coordination du projet

Dominique LINHARDT (Ecole des hautes études en sciences sociales - Institut Marcel Mauss - Laboratoire interdisciplinaire d'études sur les réflexivités) – dominique.linhardt@ehess.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

EHESS-IMM-LIER Ecole des hautes études en sciences sociales - Institut Marcel Mauss - Laboratoire interdisciplinaire d'études sur les réflexivités

Aide de l'ANR 249 978 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2013 - 42 Mois

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