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Evo-dévo de la diversification et de la disparition de la denture chez les Oiseaux – PIAFS

Des dents chez les oiseaux : de la fiction à la réalité

Aujourd’hui aucune espèce d’oiseaux ne possède de dents. Pourtant, la plupart en possédaient au temps des dinosaures, le Mésozoïque. Nous cherchons à comprendre pourquoi et comment les dentures aviennes ont entre temps disparu. Puis, au Cénozoïque, un clade d’oiseaux marins aujourd’hui disparu, les Odontopterygiformes, ont évolué des mâchoires à excroissances osseuses en forme de dents. Nous recherchons là aussi les modes de développement et d’évolution de ces structures uniques et disparues.

Reconstruire l’histoire développementale des dentures d’oiseaux Mésozoïques, puis des pseudodentures d’Odontopterygiformes Cénozoïques, par l’étude en microstructure et histologie de leurs fossiles

Aujourd’hui aucune des 11 000 espèces d’oiseaux ne possède de dents, et aucun non-plus des oiseaux fossiles connus depuis le début du Cénozoïque (66 millions d’années : crise d’extinction K-Pg). Pourtant, la plupart des espèces d’oiseaux en possédaient auparavant, au temps des dinosaures, le Mésozoïque, ainsi que la quasi-totalité des vertébrés de cette époque. A partir des fossiles, nous cherchons d’abord à mieux comprendre les caractéristiques des dents et dentures des derniers oiseaux à dents les plus proches des oiseaux modernes (Neornithes) au Crétacé supérieur, notamment Hesperornis et Ichthyornis ; en effet elles n’avaient jamais été étudiées en microstructure et histologie, et des controverses existaient en comparaison avec les autres archosaures. Ensuite, nous recherchons pourquoi et comment les dentures ont disparu à la base de la lignée dont proviennent toues les oiseaux modernes, et éventuellement sur quelles bases développementales on peut proposer que s’est produite cette perte de denture, mais aussi d’autres pertes de denture dans d’autres lignées. Ces recherches peuvent aussi aider à comprendre pourquoi seuls des oiseaux sans denture ont survécu à la crise K-Pg. Plus tard, au Cénozoïque, un clade d’oiseaux marins aujourd’hui disparu, les Odontopterygiformes, appartenant aux oiseaux modernes et donc sans dents, ont évolué des mâchoires à excroissances osseuses en forme de dents pointues, et de tailles différentes distribuées de façon séquentielle le long des mâchoires. Nous recherchons si ces structures osseuses, appelées les pseudodents, partagent avec les dents des bases développementales qui se seraient conservées, ou bien si cette ressemblance est seulement une convergence superficielle. Pour ce faire, nous réalisons les premières investigations en microstructure et histologie sur ces structures. Ces oiseaux marins devenus les plus grands oiseaux volants connus (7 m d’envergure) ont vécu sur tous les océans, depuis le tout début du Cénozoïque jusqu’à il y a 2,5 millions d’années. Ces recherches pourraient aussi livrer des indices quant aux causes de leur extinction.

Les fossiles qui représentent d’une part les dents d’oiseaux, et d’autre part les pseudodents osseuses plus récentes, sont excessivement rares (de plus les pseudodents sont fragiles et se conservent peu ou mal). Il est donc impossible (ou exceptionnel) de pouvoir faire des lames minces, afin d’en observer la microstructure interne et l’histologie. Par conséquent, nous faisons appel, principalement, à des technologies d’imagerie 3D qui permettent de visualiser l’intérieur de ces fossiles par les variations de densité, sans les altérer aucunement. Il s’agit de la microtomographie à rayons x conventionnelle ; et aussi (notamment pour les dents, plus denses et de petite taille) la microtomographie à rayons x synchrotron qui est plus performante, à faisceaux de plus forte intensité, plus parallèles et à longueur d’onde plus resserrée ; cette dernière permet donc de « percer » les structures dans des matériaux plus denses, et aussi de donner des résolutions plus élevées (tailles de voxels plus petites). Les images en 3 dimensions obtenues sont analysées en imagerie 3D à l’aide de logiciels spécialisés. Pour compléter, nous faisons aussi des observations de surface de l’émail des dents d’oiseaux par imagerie MEB (microscopie électronique à balayage) et imagerie confocale. De plus, nous réalisons quelques lames minces d’histologie dans des fragments de pseudodents osseuses d’Odontopterygiformes.

Notre revue synthétique a révélé que la perte des dents s’est produite de nombreuses fois dans des lignées différentes chez les oiseaux au cours du Crétacé, de même que des réductions de denture partielle, lesquelles se sont produites de manières très diverses. La réduction dentaire a été accompagnée de près par l’expansion du bec corné sur les mâchoires. Plusieurs traits tels que celui-ci, indirectement liés à la perte de denture, pourraient avoir aidé au succès évolutif des oiseaux post-crise K-Pg ; la diversité et l’adaptabilité des formes de becs des oiseaux modernes semble en être l’illustration (Louchart & Viriot 2011). Nous avons pu montrer précisément que chez les différents oiseaux à dents : l’attache est complètement thécodonte par gomphose (même si chez Hesperornis l’implantation se situe dans un long sillon, une autapomorphie probable), et le remplacement dentaire est lingual via un puits de résorption dans la racine. Cependant, parmi les derniers oiseaux à dents les plus proches des oiseaux modernes, la microstructure et la morphologie diffèrent beaucoup entre Ichthyornis et Hesperornis. Dans les deux cas il y a une réduction de l’épaisseur et la complexité de l’émail, qui pourrait être une tendance dans la réduction dentaire. Hesperornis montre un taux de croissance de la dentine élevé en comparaison à des dinosaures non-aviens (Dumont et al. 2016). Nous avons décrit une dent d’Archaeopterygidae dans le Crétacé inférieur de France, première occurrence documentée hors d’Allemagne et autre que Jurassique terminal (Louchart & Pouech 2017). Concernant les pseudodents osseuses d’Odontopterygiformes, nous avons décrit pour la première fois leur histologie précisément : entre autres l’os est fibrolamellaire et fortement remanié secondairement, et les pseudodents sont juste des excroissances des mâchoires. Parmi deux hypothèses, plusieurs facteurs nous font privilégier celle-ci : elles se développent tardivement, lorsque les mâchoires ont quasiment atteint leurs dimensions adultes. Cela suggèrerait que les jeunes étaient dépendants (altriciaux) (Louchart et al. 2013). Nous avons ensuite développé un modèle pouvant expliquer le développement de ces pseudodentures, et un faisceau d’indices montre qu’il était probablement issu de bases développementales odontogénétiques (de formation de vraies dents), héritées de leurs ancêtres. Des ostéoblastes compétents pouvaient, à la place d’odontoblastes absents, répondre au signal épithélial, induisant une croissance conique. Ainsi, la morphogénèse aurait « utilisé » l’os à la place de la dentine ; et l’épithélium, qui se kératinisera, ne formera pas d’émail, les gènes de l’émail étant déjà devenus des pseudogènes chez les Neornithes. Enfin, des zones d’inhibition dynamiques peuvent expliquer la distribution séquentielle particulière des pseudodents selon leur taille le long de la mâchoire (Louchart et al. 2018).

Ces recherches ont donc permis, entre autres, de comprendre plus précisément la nature des dentures d’oiseaux mésozoïques et leurs pertes, ainsi que la nature des pseudodentures des extraordinaires Odontopterygiformes cénozoïques. Elles ont révélé une forme particulière d’homologie entre ces deux structures, dents et pseudodents, malgré les différents tissus impliqués (tissus finaux : dentine et émail vs. os et épithélium corné). Des recherches futures dans différents domaines pourront tester ou préciser ces hypothèses. Par exemple, des recherches de nouveaux fossiles seront importantes : (i) à la base de la lignée ayant mené aux Neornithes, au Crétacé supérieur, pour mieux préciser l’âge de la perte de la denture, (ii) à la base des oiseaux à pseudodents, potentiellement autour de la limite K-Pg (y compris antérieurement). Ainsi, de nouvelles découvertes pourraient « réduire » le temps connu écoulé entre la perte de denture et les premières pseudodents, temps au cours duquel un potentiel odontogénétique aurait pu être conservé et rester activable, mais détourné sur des tissus différents (aujourd’hui cet intervalle tel qu’il est connu –entre ca. 115 Ma et ca. 60 Ma– est d’environ 55 millions d’années ; Louchart et al. 2018). Le modèle comporte des zones d’inhibition centrées sur la pointe du cône de chaque pseudodent en développement, homologue à un « nœud d’émail », et comporte aussi la réduction de chaque rayon d’inhibition dans le temps, permettant à des pseudodents d’émerger entre deux pseudodents plus grandes (plus précoces) séquentiellement, lorsque ces dernières achèvent leur croissance. Ainsi pourraitt être expliquée cette distribution « en vagues » des pseudodents le long des mâchoires. Il serait intéressant à l’avenir d’étudier les dentures de certains poissons (e.g., des requins-scies du genre Pristiophorus, et des poissons Cynodontidae et Erythrinidae) qui présentent la même distribution en vagues mais avec de vraies dents (Louchart et al. 2018), afin de rechercher la matérialisation (même si c’est sur de vraies dentures) de tels champs d’inhibition, ces derniers restant en grande partie théoriques.

—Louchart, A., Buffrénil, V. de, Bourdon, E., Dumont, M., Viriot, L., & Sire, J. Y. (2018). Bony pseudoteeth of extinct pelagic birds (Aves, Odontopterygiformes) formed through a response of bone cells to tooth-specific epithelial signals under unique conditions. Scientific Reports, 8(1), 12952. DOI : doi.org/10.1038/s41598-018-31022-3
—Louchart, A., & Pouech, J. (2017). A tooth of Archaeopterygidae (Aves) from the Lower Cretaceous of France extends the spatial and temporal occurrence of the earliest birds. Cretaceous Research, 73, 40-46. DOI : doi.org/10.1016/j.cretres.2017.01.004
—Dumont, M., Tafforeau, P., Bertin, T., Bhullar, B. A., Field, D., Schulp, A., Strilisky, B., Thivichon-Prince, B., Viriot, L., & Louchart, A. (2016). Synchrotron imaging of dentition provides insights into the biology of Hesperornis and Ichthyornis, the “last” toothed birds. BMC Evolutionary Biology, 16, 1-28. DOI : doi.org/10.1186/s12862-016-0753-6
—Louchart, A., Sire, J. Y., Mourer-Chauviré, C., Geraads, D., Viriot, L., & De Buffrenil, V. (2013). Structure and growth pattern of pseudoteeth in Pelagornis mauretanicus (Aves, Odontopterygiformes, Pelagornithidae). PLoS One, 8(11), e80372. DOI : doi.org/10.1371/journal.pone.0080372
—Louchart, A., Viriot, L., & Dubois, A. (2013). The use of the prefix Pan-and other problems in zoological family-series nomenclature. Zootaxa, 3750(2), 197-200. DOI : doi.org/10.11646/zootaxa.3750.2.9
—Louchart, A., & Viriot, L. (2011). From snout to beak: the loss of teeth in birds. Trends in Ecology & Evolution, 26(12), 663-673. DOI : doi.org/10.1016/j.tree.2011.09.004

L’apparition de la denture chez les Vertébrés a été une innovation-clé dans leur évolution. Elle a été suivie d’une formidable diversification avec des modifications dans le nombre, la forme, la structure, l’implantation, la croissance, et le remplacement des dents. Ces caractéristiques sont étudiées particulièrement chez les mammifères, et aussi chez des groupes fossiles tels que les dinosaures non-aviens. Les oiseaux aujourd’hui sont remarquables par leur absence de dents. Mais entre 146 et 65,5 millions d’années avant le présent, de nombreux groupes d’oiseaux étaient dentés, au moins partiellement. Le registre fossile de ces taxons est exceptionnel et en augmentation. Parallèlement, des expérimentations récentes ont produit des rudiments de dents chez des embryons de poulets mutants. Dans notre projet, nous voulons pour la première fois mettre en oeuvre des investigations détaillées des phénotypes des dents et des dentures chez des oiseaux Mésozoïques, et des embryons expérimentaux, et les comparer avec celles d’autres archosaures, et d’autres tétrapodes. Nous voulons également déchiffrer les trajets évolutifs de réduction dentaire et d’adontie chez les oiseaux, et les mécanismes qui les sous-tendent, par une approche évo-dévo. Troisièmement, nous allons rechercher la nature et l’ontogénie de structures connues comme « pseudo-dents » ou dents osseuses chez deux groupes éteints d’oiseaux Cénozoïques, car elles peuvent donner un éclairage nouveau sur l’évolution et la perte de denture dans la classe entière.

Coordination du projet

Antoine LOUCHART (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE) – antoine.louchart@ens-lyon.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IGFL CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE RHONE-AUVERGNE

Aide de l'ANR 173 996 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2011 - 36 Mois

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