FRAL - Programme franco-allemand en SHS

Formations artistiques transnationales entre la France et l’Allemagne 1843-1870 – ArtTransForm II

Formations artistiques transnationales : un enjeu central pour une histoire de l’art connectée

Retracer les trajectoires de formation des peintres allemands en France au XIXe siècle ou comment déconstruire le fantasme des écoles nationales<br />Ce projet est consacré à l’étude des conditions de formation artistique en Europe au XIXe siècle dans une perspective transnationale. Cette problématique permet d’interroger des catégories fondamentales de l’histoire de l’art, en particulier les catégories nationales qui structurent profondément le discours scientifique.

Enjeux & objectifs

Ce projet est consacré à l’étude des conditions de formation artistique en Europe au XIXe siècle dans une perspective transnationale. Cette problématique permet d’interroger des catégories fondamentales de l’histoire de l’art, en particulier les catégories nationales qui structurent profondément le discours scientifique. Avec leurs travaux portant sur la circulation des œuvres d’art et des acteurs du monde artistique et savant dans l’Europe du XIXe siècle, les porteuses du projet ont remis en question les limites épistémologiques de leur discipline, l’histoire de l’art, dont les grands récits négligent pour la plupart les caractéristiques transnationales des pratiques artistiques. S’intéresser aux trajectoires de formation des artistes, c’est-à-dire à la période de construction individuelle, de socialisation professionnelle et d’expérimentation artistique, permet de faire apparaître l’importance des expériences partagées en Europe au XIXe siècle. Le parcours des peintres allemands qui se rendirent à Paris pour étudier la peinture s’avère particulièrement intéressant pour saisir tous les enjeux qui motivaient une telle expatriation (de courte ou de longue durée). A partir de sources inédites, il s’agit de reconstruire ici les raisons artistiques, économiques, idéologiques ou professionnelles de ces choix de carrière. L’intérêt se porte aussi sur les expériences vécues à Paris et le regard porté a posteriori sur cette période. En étudiant de plus près l’expérience des peintres allemands à Paris au XIXe siècle, le projet éclaire donc la multiplicité des zones de contact et d’échange qui fondent les pratiques et usages de l’art.

L’équipe franco-allemande a fondé son enquête sur des sources d’archives françaises, allemandes, suisses, américaines afin de retrouver des documents permettant de retracer au plus près l’expérience vécue par les peintres allemands à Paris (correspondances, journaux intimes, dessins, etc.), les conditions matérielles et pratiques (correspondances administratives, rapports ministériels, documents institutionnels) et les conséquences multiples de ces séjours de formation (réformes scolaires, transferts de techniques, naturalisation, discours de la critique, revendication, rejet et négation de l’art français, etc.). D’emblée ces éléments ont été versés dans une base de données spécialement conçue pour le projet afin non seulement d’éviter les écueils techniques et pratiques habituels, mais aussi de mieux pouvoir les exploiter en créant des possibilités de connexions complexes. En plus de cette base de données, l’équipe a choisi de publier un dictionnaire sur les peintres allemands à Paris avec des notices détaillant les raisons et les circonstances de leur séjour de formation en France. Ces notices établissent à chaque fois un état critique de la recherche et mettent en perspective – à partir des sources et de la bibliographie – l’expérience parisienne des peintres recensés.

Au vu des résultats, il est frappant de constater que les foyers principaux de cette attractivité parisienne (les ateliers de Thomas Couture, Léon Cogniet, Paul Delaroche ou Horace Vernet, ainsi que la forêt de Barbizon) esquissent une autre réalité parisienne que celle généralement fixée dans les manuels qui font de Paris le berceau d’un certain académisme avec son École des beaux-arts à l’influence jadis si importante, ou d’une modernité marquée par les figures phares de Courbet, Manet ou encore pour la génération précédente Delacroix. Le projet révèle ainsi tout un pan méconnu de la vie artistique parisienne avec son système d’ateliers privés, de colocations, de sociabilités juxtaposées et parfois croisées. De plus, en s’intéressant à plusieurs générations de jeunes Allemands attirés par une formation à Paris, apparaît une histoire inédite de la peinture allemande – en dehors de toute discrimination de réputation ou de gloire. La concentration sur la population artistique très spécifique des « apprentis » permet de mettre en avant les conditions d’entraînement, de socialisation et d’accès aux métiers artistiques dans une approche inédite en histoire de l’art. Ne s'écrit pas ici que l'histoire de ceux qui ont « réussi », mais de toute une population artistique en devenir, pour laquelle succès et échec sont étudiés avec autant d’intérêt. Le projet offre ainsi une vision globale de la jeunesse/genèse de la peinture allemande du XIXe siècle, qui permet de mieux comprendre les succès de peintres connus. Les expériences dans les ateliers, les musées, la ville, la nature, ainsi que le mode de vie des jeunes gens (hommes et femmes), leurs réseaux sociaux, offrent un précieux apport pour l’histoire de l’art, ainsi que pour l’histoire sociale et matérielle du XIXe siècle.

Les résultats de cette recherche ont permis de poser les nouvelles bases d’une réflexion fondamentale sur les échanges artistiques au XIXe siècle en Europe. En affirmant une nette rupture avec les discours nationalistes de l’histoire de l’art, le projet ouvre des perspectives fertiles pour une reconsidération globale des transferts et des interactions artistiques à cette époque. De manière ciblée, le projet est poursuivi sur la même problématique des artistes allemands à Paris pour la période 1843-1870 afin d’éclairer les nouveaux paramètres qui entrent en ligne de compte (expositions internationales, essor du marché de l’art, revendications politiques et sociales croissantes, etc.). D’une manière plus générale, les chercheurs impliqués dans cette nouvelle recherche développent également des réflexions transversales sur des problématiques esthétiques et sociales.

Au cours de ses deux phases de travail successives, le projet a permis la création d’une base de données (ArtTransForm) répertoriant tous les artistes allemands ayant séjourné à Paris entre 1793 et 1870, avec – dans la mesure du possible – le détail de leur activité et de leurs fréquentations, ce qui en fait une sorte de Facebook des réseaux sociaux du monde de l’art du XIXe siècle. Cet outil a été complété par la publication d’un dictionnaire en deux volumes recensant les peintres allemands formés à Paris entre 1793 et 1843, puis entre 1843 et 1870. Il a enfin donné lieu à un colloque international en mai 2015, dont les actes conduiront à la publication d’un livre plus théorique sur les enjeux d’une telle enquête.

Le XIXe siècle est décrit dans les manuels d’histoire comme le siècle des nationalismes ; en histoire de l’art, c’est la notion d’école qui commence à cristalliser les tendances idéologiques de ces définitions nationales. Or ces catégories se heurtent non seulement à des difficultés d’ordre historique, mais aussi – pour la pratique artistique – au phénomène de la mobilité internationale des artistes et aux relations étroites qu’ils tissent avec leurs confrères d’autres pays. Retracer les parcours transnationaux des artistes du XIXe siècle, surtout au moment de leur formation, permet de faire apparaître l’inanité des définitions exclusives « d’écoles ». Le caractère nomade des itinéraires de formation des artistes reflète au contraire les réseaux qui lient artistes, amateurs, marchands, savants, les affinités artistiques entre partisans de nouvelles idées esthétiques, les modes qui font d’un atelier particulier le creuset international en vogue, les volontés idéologiques d’exil ou de prise de distance par rapport à l’institution originelle ou encore les situations économiques qui poussent à la délocalisation précoce.

L’étude de cette mobilité transnationale des artistes allemands est au cœur du projet ArtTransForm II. Grâce à d’exhaustifs dépouillements d’archives en France et en Allemagne, l’équipe franco-allemande d’ArtTransForm a d’ores et déjà montré l’ampleur historique et les modalités particulières de la formation en France d’artistes allemands au début du XIXe siècle (1793-1843). La masse de documents inédits mis au jour a permis de renouveler complètement les connaissances sur les trajectoires d’artistes, encore connus de nos jours comme Gottlieb Schick, mais aussi d’artistes tombés dans l’oubli qui ont pourtant joué un rôle décisif dans la circulation des savoir-faire et des styles, à l’instar de Ferdinand Jagemann, Carl Wilhelm Pohlke ou Friedrich W. Martersteig.

Le nouveau projet ArtTransForm II permettra de profiter de la méthodologie développée ainsi que des sources localisées pour traiter la période 1843-1870 pour laquelle il n’existe à ce jour aucune synthèse générale. Pourtant le choix de venir étudier la peinture à Paris se pose alors de manière nouvelle et cruciale avec l’émergence de mouvements politiques internationaux, l’essor de la peinture de plein air, les réflexions internationales autour de la peinture d’histoire moderne, les projets de décors monumentaux européens, l’abandon de Rome pour Paris « métropole de la modernité », l’internationalisation d’un marché de l’art de plus en plus efficace ou encore la mise en place de compétitions artistiques internationales via les Expositions universelles.

En 1843, Paul Delaroche, le rénovateur de la peinture d’histoire aux yeux de Heinrich Heine, ferme son atelier qui attirait pourtant les plus ambitieux jeunes peintres de toute l’Europe. Mais cette fermeture ne signe pas la fin de la venue des peintres allemands à Paris : au contraire, ils viennent travailler avec Thomas Couture, Gustave Courbet, Jean-Léon Gérôme, mais aussi avec les peintres de Barbizon, cultivant parfois les mêmes postures esthétiques que leurs confrères français. Mais pas toujours. De fait, s’ils s'engagent dans certains débats idéologiques et artistiques de leurs maîtres et amis français, ils développent aussi des formes nouvelles, dans un constant mouvement d’interaction entre le lieu où ils se trouvent et les publics auxquels ils s’adressent, les paysages qu’ils découvrent et les références qu’ils s’approprient. Au moment, où certains critiques transforment les artistes en soldats armés de pinceaux et de maillets partant à la conquête de territoires adverses, les peintres allemands continuent de travailler auprès de maîtres français pour se forger un style singulier. Le projet ArtTransForm mettra en lumière les raisons matérielles, économiques, idéologiques, esthétiques, institutionnelles de ce choix.

Coordination du projet

France NERLICH (UNIVERSITE DE TOURS [FRANCOIS RABELAIS]) – france.nerlich@inha.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

InTRu JE 2527 UNIVERSITE DE TOURS [FRANCOIS RABELAIS]

Aide de l'ANR 169 853 euros
Début et durée du projet scientifique : octobre 2011 - 36 Mois

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