FRAL - Programme franco-allemand en SHS

Théorie du Droit et Logique – Jurilog

JuriLog

Théorie du Droit et Logique

Raisonnement juridique et raisonnement logique

La philosophie dans son histoire met en lumière une question récurrente portant sur la relation entre la logique et le droit. Ce champ d'interrogation interdisciplinaire concerne principalement la question d'un possible mode de raisonnement propre au droit. En effet, si par nature, ces deux disciplines semblent être différentes mais surtout indépendantes et autonomes, aucun juriste ou avocat ne soutiendra qu'il raisonne de façon illogique, tout comme aucun logicien ne niera pas obéir à l'application logique et méthodique de certaines lois. Ces deux disciplines, aussi différentes soient-elles, partagent donc des intérêts communs et se réunissent autour de la problématique du raisonnement logique.<br /><br />Le raisonnement dans sa pratique ouvre donc la possibilité d'un dialogue entre le droit et la logique. La question qui se pose alors est de savoir si les raisonnements juridiques possèdent une structure qui leur est propre ou bien s'ils procèdent sur un modèle similaire aux raisonnements de la logique formelle. Si les raisonnements juridiques utilisent des modèles de la logique formelle, la logique formelle est suffisante pour étudier les raisonnements juridiques ; mais si les raisonnements juridiques n'utilisent pas un modèle similaire aux raisonnements de la logique formelle, quel(s) modèle(s) logique(s) les raisonnements juridiques utilisent-ils ? Est-ce une forme logique propre au droit ou est-ce une variation ou encore un usage particulier de la logique formelle ? Si tel est le cas, quelle(s) modification(s) faut-il apporter à la logique formelle ?<br /><br />C'est précisément au sein de ce questionnement que le projet JuriLog s'insère. En ce sens ce dernier représente une tentative originale pour étudier le droit et la logique à travers la relation mutuelle que ces deux disciplines entretiennent avec la pratique du raisonnement logique.

Même si raisonnement juridique et raisonnement logique partage un fond commun, ils diffèrent néanmoins par la pratique et l’usage des raisonnements dont ils procèdent. Par conséquent, la logique, en tant que ‘‘simple calcul’’, ne semble pas pleinement appropriée pour appréhender le raisonnement juridique dans sa pratique.

Pour notre projet, nous avons choisi l’approche dialogique de la logique. Cette approche issue de la tradition inaugurée par Lorenz et Lorenzen (Erlangen, Allemagne) permet d’appréhender la logique, non pas comme un calcul, mais comme une pratique argumentative. Contrairement à d’autres approches, l’approche argumentative de la logique offre un cadre d’étude au sein duquel il est permis de combiner différentes logiques mais aussi de les modifier grâce à la sémantique pragmatique sur laquelle cette approche repose. Sous cet aspect, la logique n’est plus un ‘‘simple calcul’’ mais apparaît comme étant l’étude d’une pratique argumentative prenant appui sur un ensemble de règles logiques. Grâce à notre méthodologie de travail, il nous sera donc permis d’explorer les raisonnements juridiques au sein d’une pratique argumentative.

Pour mener à bien ce travail, nous avons réuni des chercheurs en droit, en histoire du droit et en logique. Alors que le groupe de recherches de Lille développe un cadre logico-philosophique permettant de formaliser l'usage de pratiques argumentatives au sein de dialogues, le groupe de Konstanz possède une expertise non seulement en droit mais également en histoire du droit. Notre travail prend pour point de départ les travaux logico-juridiques que Leibniz a mené sur la notion de condition – notion qu’il désigne comme étant à la confluence du droit et de la logique. Dans un premier temps, nous interrogeons l'influence que le droit romain a sur le développement de ces travaux concernant cette notion de condition, tout en questionnant la pertinence contemporaine des réflexions et résultats auxquels il est parvenu.

Le droit romain appréhende la problématique des conditions juridiques à partir d’une dimension objective d’existence. Nous sommes parvenus à mettre en évidence le fait que Leibniz place le sujet épistémique au centre de cette problématique. La mise en évidence de l’importance de la dimension épistémique, réclamée par Leibniz pour sa théorie juridique des conditions, est un résultat marquant. Ce résultat pourra nous permettre d’alimenter le débat contemporain sur la place du caractère épistémique de la condition suspensive en droit français. Cette problématique est en effet au cœur d’une réflexion visant la réécriture de l’Article 1181 du Code Civile français notamment à travers le projet Catala 2005 et un projet de loi de 2011.

D’autre part, l’approche constructiviste de la théorie des types, développée dans le cadre dialogique, a d’ores et déjà permis de formellement reconstruire la notion de condition suspensive. Selon cette approche, la relation entre condition et conditionné est comprise comme résultant d’une relation de dépendance entre faisceaux de preuves. Cette relation particulière entre faisceaux de preuves permet d’une part d’établir un lien fort entre la notion de preuve et celle de présomption et d’autre part de dépasser certaines difficultés rencontrées par les approches antérieures - notamment liée aux problèmes classiques des structures conditionnelles logiques (trivialisation de la relation par satisfaction du conséquent ou falsification du conséquent).

Concernant les publications, plusieurs articles ont été soumis et sont en cours de relecture : « Fiction in Legal Science: the Strange Case of the Basic Norm » dans Proceedings of ISELL, Springer, « The definition of “Legal Norm” (from a philosophical point of view) » et « Condition, Between Law and Logic » dans Proceedings of the 6th Annual Legal Research Network Conference, Springer, respectivement de J.M. Sievers et S. Magnier. Une monographie Epistemic Dynamics, Dialogs and Legal Reasoning, Logic, Argumentation & Reasoning, Springer, de S. Magnier et en cours de rédaction. Deux ouvrages collectifs Norms and Conditionals, M. Armgardt, S. Rahman & A. Thiercelin. (Eds.) et From Dialogue to Dialogue, de S. Rahman et N. Clerbout sont également en préparation.

Concernant les prochaines problématiques au centre de nos préoccupations, un axe de recherche entre juristes et logiciens sur l’influence de Leibniz sur le Code Civil français doit être approfondi. Les résultats nous permettront d’interroger la pertinence de l’argument épistémique de Leibniz au regard du droit contemporain français. Cette réflexion s’avère essentielle dans le débat contemporain visant une réécriture de certains articles du Code Civil français. Si nous parvenons à montrer la nécessité de la dimension épistémique pour la condition suspensive en droit droit contemporain, la reconstruction logique de la théorie de Leibniz pourrait être appliquée à des problèmes juridiques contemporains. Un autre axe majeur portant sur l'approche constructiviste des types va continuer d’être exploré. Les résultats obtenus pourraient permettre d’établir un lien entre la théorie de la preuve et la notion de présomption.

Ouvrages collectifs :

Legal Reasoning and Logic. Past and Present Interactions, M. Armgardt, P. Canivez & S. Chassagnard-Pinet (Eds.), sous presse.

Ouvrages individuels :

Sébastien Magnier, Approche dialogique de la dynamique épistémique et de la condition juridique, Cahiers de logique et d’épistémologie, College Publications, London, 2013.

Articles publiés dans des revues scientifiques :

Shahid Rahman, Nicolas Clerbout, Zoe McConaughey « On play-objects in dialogical games. Towards a Dialogical approach to Constructive Type Theory », Tributes for Jean Paul van Bendegem, P. Allo (Ed.), College Publications, London, sous presse.

Shahid Rahman, « Constructive Type Theory and The Dialogical Turn. A New Start for the Erlanger Konstruktivismus », Paderborn: Mentis in Dialogische Logik, Mittelstrass (Ed.), sous presse.

Matthias Armgardt, « Salvius Iulianus als Meister der stoischen Logik – zur Deutung von Iulian D. 34,5,13(14),2-3 », in Matthias Armgardt, Fabian Klinck, Ingo Reichard : Liber amicorum hristoph Krampe zum 70. Geburtstag, Freiburger Rechtsgeschichtliche Abhandlungen Bd. 68, Berlin 2013, S. 29-36, 2013.

Sébastien Magnier, Tiago de Lima, « A Soundness and Completeness Proof on Dialogs and Dynamic Epistemic Logic », in Dynamics in Logic, special issue of Logique et Analyse, P. Allo, F. Poggiolesi and S. Smets (Eds.), sous presse.

La notion de condition dans le droit apparait en différents lieux et époques. Les spécificités de chacune de ces conditions induisent différentes conséquences qui ont des influences bien réelles, bien que les conditions puissent être fictives. Tandis que les conditions constituent un thème crucial pour la théorie juridique, la multiplicité de la notion de condition représente quant à elle un thème central de l’histoire de la logique. Bien évidemment, la perspective de la théorie du droit et la perspective philosophique ne confluent pas toujours sans problème. C’est pour cette raison que le présent projet se donne pour mission d’étudier la tension existante dans la relation qu’entretiennent le droit et la logique, et ce selon trois contextes particulièrement significatifs : à travers l’époque romaine antique, G.W. Leibniz, et le droit contemporain. Cette étude a pour objectif principal de coordonner les aspects juridiques et logiques de la notion de condition afin de promouvoir d’une manière décisive la constitution d’une logique juridique universelle. Les trois époques susmentionnées sont historiquement importantes, chacune pour des raisons qui leur sont propres, et représenteront nos trois axes de recherche. Elles constituent une connexion entre l’approche logique et juridique de la notion de condition et manifestent à travers l’histoire la conscience d’une problématique particulière. Cette problématique produit aujourd’hui des discussions vivantes dans la recherche contemporaine. Il est évident qu’en accord avec la description que nous venons de dresser, la problématique de notre projet intersecte l’étude de l’œuvre de Leibniz et, selon notre vue, il apparait également que la structure de la logique dialogique, qui connait aujourd’hui d’importants développements, représente ici un cadre d’interprétation philosophique prometteur pour ces recherches. Ainsi, de nouvelles perspectives sont attendues du défi que révèle l’étude de l’interface entre représentation juridique et modélisation logique à la fois dans chacun des trois axes de recherche mentionnés mais aussi de manière transversale.

Coordination du projet

Shahid RAHMAN (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE NORD-PAS-DE-CALAIS ET PICARDIE) – shahid.rahman@univ-lille3.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

Universität Konstanz Universität Konstanz
MESHS-STL CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE NORD-PAS-DE-CALAIS ET PICARDIE

Aide de l'ANR 210 000 euros
Début et durée du projet scientifique : mars 2012 - 36 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter